Sur quelles fondations bâtir une entreprise contributive ? Par Joël Tronchon, directeur développement durable, Groupe SEB

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Il existe différents chemins qui mènent les entreprises à s’engager sur la voie de l’intérêt général et du bien commun. Certaines y viennent contraintes suite à une crise de réputation, poussées par des ONG, des mouvements de citoyens/consommateurs, ou fortement incités par les pouvoirs publics. Ce qui ne les empêchent en rien de devenir ensuite des leaders positifs.

D’autres s’y attèlent grâce aux valeurs personnelles de leurs dirigeants, ou par conviction de leurs actionnaires de long terme comme c’est le cas notamment pour bon nombre d’entreprises détenues par un capital familial.

Ce qui importe, une fois le virage pris, c’est la sincérité de l’engagement, sa constance dans la durée et la cohérence entre les pratiques internes et les actions visibles en externe.

Avec le prérequis essentiel d’embarquer dans l’aventure l’ensemble des salariés et de faire participer tous les métiers en formalisant pour chacun d’eux des feuilles de route « à contribution positive » en fonction de leurs enjeux prioritaires :

  • Réduire son empreinte environnementale pour la Production, la Logistique, les Systèmes d’information.
  • Eco-concevoir des produits/services durables et socialement utiles pour le marketing, la R&D et la qualité.
  • Pour les équipes de vente, construire avec ses clients des opérations commerciales permettant de sensibiliser le consommateur final sur les enjeux de développement durable.
  • Pour les Achats, s’assurer d’un approvisionnement auprès de fournisseurs fiables et responsables tout au long de la chaîne de valeur.
  • Pour les Ressources humaines, assurer à l’ensemble des salariés mondiaux une protection sociale et une bonne qualité de vie au travail. Bâtir un socle social permettra de fidéliser et d’attirer les collaborateurs. Donner du sens au travail en encourageant l’engagement sociétal des salariés.
  • Pour la Finance enfin, encourager les investissements créateurs de valeur sur le moyen et long terme comme sur les technologies et procédés bas carbone, et intégrer dans les outils de gestion le coût des externalités négatives sociales et environnementales qu’il faudra bien payer.

Mais force est de constater que l’engagement des entreprises sur la voie du développement durable est grandement facilité par la stabilité à moyen et long terme de son actionnariat et de ses équipes dirigeantes. Changer d’orientations stratégiques à chaque coup de vent et faire varier l’intensité de l’engagement RSE au gré de la valse des dirigeants génèrent à coup sûr chez les salariés défiance et démobilisation.

Quelle que soit sa taille, l’entreprise contributive, pour être crédible, a besoin d’une vision incarnée par les comportements et les actions pérennes de son management, qui ne peut déployer ses effets positifs sur la Société qu’à moyen et long terme.

Cela passera aussi par l’intégration des dimensions RSE dans les critères de recrutement, d’évaluation de la performance et les référentiels de management, afin de valoriser les salariés qui prennent des initiatives avec le souci des impacts éthiques, sociaux et environnementaux de leurs décisions, plutôt que des mercenaires centrés sur leurs intérêts particuliers.

Bien connaître ses externalités négatives pour innover

Certains ne verront dans la RSE et les actions de l’entreprise en faveur de ses parties prenantes qu’une nouvelle manière de gérer les risques, de compenser les externalités négatives induites par son activité économique.

Bien heureusement, la RSE ne se limite pas à son volet défensif. Un nombre croissant d’entreprises ont utilisé cette contrainte pour la transformer en levier offensif, permettant de se différencier de leurs concurrents sur des marchés où les leviers de compétitivité classiques atteignent leur limite.

Ainsi, mettre en place des boucles d’économie circulaire sur le plastique recyclé permet non seulement de limiter le fléau environnemental des déchets plastiques, tout en générant une matière première secondaire moins chère et plus compétitive pour les entreprises qui ont su investir de manière innovante avec l’appui de leurs fournisseurs et éco-organismes.

Chacun peut constater le succès croissant auprès des consommateurs des opérations de collecte de produits en fin de vie à l’initiative des marques de fabricants (vêtements, articles de sports, articles culinaires, petit électro-ménager, bouteilles plastiques et canettes aluminium…) pour qu’ils soient réparés, reconditionnés, revalorisés ou recyclés.

Dans le secteur très concurrentiel du petit équipement domestique où le Groupe SEB opère, proposer des produits durables, réparables, recyclables, fabriqués dans des conditions sociales et environnementales de bon niveau a plusieurs conséquences positives : cela permet d’être durablement référencé par des clients distributeurs de plus en plus soucieux de travailler avec des fournisseurs responsables et contributifs, et de développer la loyauté et la confiance des consommateurs en nos marques. Proposer des produits durables et responsables influence positivement les ventes et parts de marché, puisque 60% des consommateurs français déclarent que consommer un maximum de produits durables est une manifestation au quotidien de leurs engagements (Etude Greenflex Ethicity 2017). Au niveau international, selon une étude Globescan 2016 dans 21 pays, 62 % des consommateurs souhaitent mettre en œuvre des valeurs environnementales et sociales dans leurs actes d’achat.

Contribuer à un impact sociétal positif, oui, mais avec l’ensemble des collaborateurs

Si il est vrai que l’exemplarité du top management est essentiel dans le déploiement d’une dynamique RSE de contribution positive, cela peut vite s’essouffler si les salariés ne sont pas acteurs de ces ambitions.

A l’heure où de nombreuses enquêtes d’engagement font apparaître la perte de motivation des salariés du fait d’un conflit éthique préoccupant entre leurs valeurs personnelles et les pratiques de leurs entreprises, il est urgent que les entreprises proposent à leurs salariés des formes d’engagement qui réconcilient business et impact sociétal positif. En permettant par exemple à ses salariés de mobiliser leurs compétences professionnelles au service d’associations d’intérêt général via le mécénat de compétences. Pour illustration, nous expérimentons au sein du Groupe SEB avec la startup VENDREDI qui propose des stages et contrats d’alternance permettant à de jeunes diplômés d’apporter leurs talents et leurs compétences à des associations de l’économie sociale et solidaire en temps partagé.

Nous avons lancé récemment un programme d’intrapreneuriat interne, Booster l’Innovation à Impact Sociétal, qui permet à des salariés SEB volontaires de travailler en temps partagé sur un prototype de nouveau produit ou service ayant un impact sociétal positif et un modèle économique viable.

Cette participation des salariés à des projets à impact positif entraîne une spirale de créativité, de motivation et d’innovation précieuse pour l’entreprise qui parvient à organiser ces initiatives. Cela apporte à l’entreprise et à ses salariés des bénéfices RH induits :  développer des compétences entrepreneuriales (agilité, innovation frugale, coopération, test & learn…), casser les silos qui asphyxient les grandes organisations   et attirer/retenir les talents.

Un éco système riche ne se crée pas par hasard : les contributeurs positifs fonctionnent en grappe

L’engagement visible des entreprises contributives génère une autre forme de création de valeur, au-delà de l’attractivité de ses produits et de ses marques auprès des clients/consommateurs/citoyens : la confiance, qui permet d’attirer dans la sphère d’influence de nouveaux partenaires.

Plus une entreprise développe de manière visible des actions RSE à impact sociétal, plus cela attire spontanément de nouveaux fournisseurs, inventeurs, clients et partenaires sur les territoires.

La qualité et la richesse de l’écosystème d’une entreprise se nourrit de confiance et de réputation positive, et la RSE y contribue largement.

Et quand on sait que l’innovation ouverte (open innovation) et collaborative est la condition essentielle de survie économique dans un monde où tout leadership peut être remis en cause et « uberisé » en un éclair, cultiver dans la durée son écosystème devient une priorité.

Les start-up innovantes, les inventeurs et talents de demain viendront plus aisément coopérer avec les grandes entreprises qui sauront leur démontrer leur impact sociétal positif et leur capacité à respecter leurs parties prenantes.

On commence à voir émerger des alliances inter-entreprises (notamment via des fonds d’investissement commun thématiques ou des associations inter-entreprises sur un même territoire) qui s’associent par affinité de valeurs pour structurer de nouveaux business à impact environnemental et social positif, dans les domaines de la gestion de l’emploi et des compétences, de l’alimentation, des technologies bas carbone par exemple.

Pour tirer son épingle du jeu dans une concurrence mondialisée, la France et les pouvoirs publics ont tout intérêt à encourager ces initiatives d’entreprises qui partagent des « raisons d’être » semblables, pour reprendre le concept du récent rapport Notat/Senard.

Contribuer aux enjeux de société, à condition que…

Les entreprises contributives ne pourront se développer que dans le cadre d’un capitalisme patient, soucieux de création de valeur à long terme.

Le risque est grand de devoir capituler sous la pression rude de concurrents ne jouant pas avec les mêmes valeurs et les mêmes règles.

A très court terme, se comporter en entreprise prédatrice et faire assumer par d’autres le coût de ses externalités négatives (dumping social et environnemental) peut hélas se révéler très rentable.

Ce sera bien in fine aux citoyens, consommateurs et pouvoirs publics de bien différencier le bon grain de l’ivraie. Chaque partie prenante possède son levier d’arbitrage : les citoyens-consommateurs ont le pouvoir d’acheter ou de boycotter, les pouvoirs publics ont le pouvoir de sanctionner/récompenser les comportements d’entreprises responsables, selon la bonne logique du bonus/malus.

« La pensée de midi » au service du long terme

En s’inspirant de Camus, il va falloir pour les entreprises contributives trouver « la juste mesure », cultiver la « pensée de midi » entre la nécessaire rentabilité économique et le souci de l’impact environnemental et sociétal positif.

Il faudra progresser encore dans la mesure du Retour sur investissement de la RSE, en admettant que ce ROI aura des horizons de temps différents selon les domaines : rentable à très court terme quand il s’agit de diminuer son impact carbone et d’améliorer l’efficacité énergétique de ses usines ou d’optimiser sa chaîne logistique ;  rentable à moyen terme quand il s’agit d’investir sur l’employabilité de ses salariés. Rentable à plus long terme quand l’on redistribue via le mécénat des fonds qui permettent la solidarité et la cohésion du territoire sur lequel on est implanté.

Il sera aussi nécessaire de mieux comptabiliser les actifs immatériels et de valoriser davantage ces investissements qui sont les conditions d’une compétitivité et d’une capacité d’innovation à moyen et long terme (capital humain, marques, brevets…).

Cela passera par des arbitrages et des compromis courageux pour les entreprises conscientes de « leurs intérêts propres et des enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités » (rapport Notat-Senard).

Les entreprises contributives devront apprendre à vivre avec ces tensions permanentes mais stimulantes pour l’innovation, quelle que soit la raison d’être que se fixeront leurs Conseils d’Administration, car elles ne deviendront pas des associations sans but lucratif d’intérêt général ni des entreprises « passagers clandestins » d’un monde qu’elles auront plus d’intérêt à construire qu’à piller.

Au travail ! « Il faut imaginer Sisyphe heureux » disait Camus… .

Joël Tronchon, Directeur Développement Durable Groupe SEB
Mars 2018

2 réflexions sur “Sur quelles fondations bâtir une entreprise contributive ? Par Joël Tronchon, directeur développement durable, Groupe SEB

  1. Huybrechts

    Joël c’est exactement ce que nous essayons de promouvoir avec le Parlement des entrepreneurs d’avenir en réunissant tous les dirigeants engagés sur la voie d’une économie plus humaine et plus durable. Bravo pour cet article. Jacques Huybrechts

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  2. Hélas, il ne suffit pas d’exercer son activité sous forme associative pour être RSE compatible. Je suis consultante dans le secteur médico-social et s’il est vrai que le but inscrit dans les statuts est noble et que la gestion n’est pas à but lucratif pour les sociétaires, je peine à insuffler des pratiques environnementales positives pourtant basiques…

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