Le 31 mai dernier, Convergences, FACE, Sorbonne Développement Durable & Fondations des Transitions organisaient une conférence sur le thème « Transitions développement durable ! L’entreprise face à ses nouvelles missions », dans la dynamique du projet de loi PACTE. De nombreux acteurs étaient venus témoigner des enjeux mais aussi des solutions et amenaient des éléments concrets pour faire avancer le débat. L’une de ces personnes était Elizabeth Soubelet, entrepreneuse, co-fondatrice et présidente de Squiz, une société qui conçoit, fabrique et vend des gourdes réutilisables. Parmi les témoignages, celui d’Elizabeth a été particulièrement inspirant : oui, on peut être une femme et une mère tout en réalisant un projet entrepreneurial hors du commun. Oui, une entreprise peut avoir un autre rôle dans la société, et contribuer activement à la conception d’un business model non seulement mieux mais aussi vertueux. Oui, une start-up peut aspirer à être exemplaire. Voici son témoignage, tel que raconté sur scène ce jour-là, simplement et avec le ton chaleureux et direct et surtout toute l’énergie positive d’Elizabeth, comme si vous y étiez :
« Joignions l’acte à la parole »
Je m’appelle Elizabeth, et vous pouvez entendre[1] que je suis née à Austin, au Texas. J’ai rencontré l’amour de ma vie à l’université et il m’a ramenée en France dans ses valises. J’ai suivi un double cursus universitaire aux Etats-Unis – je suis à la fois sage-femme et professeur des écoles pour enfants en situation de handicap – et la vie a fait qu’aujourd’hui, je suis entrepreneur. Je vais vous raconter comment c’est arrivé. J’ai eu un problème, ou plutôt, je me suis sentie coupable, ou un peu des deux. Disons que, il y a 5 ans, quelques mois après la naissance de notre cinquième enfant (oui, nous nous aimons beaucoup, beaucoup, beaucoup!) j’ai commencé à me poser beaucoup de questions sur notre mode de consommation, et j’ai cherché des solutions pour réduire notre impact négatif. J’ai vu un produit aux Etats-Unis à l’époque que j’ai trouvé pratique et innovant : des gourdes de compote qui pouvaient être remplies à nouveau après utilisation, donc réutilisables ! Mais je me suis dit : ce n’est pas assez de dire qu’un produit « sauve la planète » s’il détruit l’emploi local, et, finalement, il ne sauve pas la planète autant que ça puisqu’il voyage 8000 km pour arriver chez vous ! Il nous faut des produits Triple Zéro[2], comme pourraient dire nos amies de Convergences.
Faire un maximum de bien à la Société avec un grand S, c’est difficile, mais pas impossible…
Je me suis donc donné comme challenge de créer un produit dans la même veine, mais éco-conçu, fait par une société qui ferait un maximum de bien à la Société avec un grand « S ». Un maximum de bien à chaque maillon de la chaîne. Je voulais avoir le meilleur impact possible, tout en étant rentable. Un pari difficile, certains m’ont dit… mais impossible n’est pas français !
D’abord, la fabrication : nous fabriquons nos gourdes souples réutilisables – des SQUIZ – en Suisse avec des composants allemands, français, et italiens. Ensuite nous les faisons venir dans un ESAT[3] à quelque kms de nos bureaux, où les gourdes sont conditionnées dans des pochettes – également réutilisables – qui sont fabriqués dans l’Oise. Après, nous les confions à un logisticien, Entreprise d’insertion, et qui se trouve, lui aussi, juste à côté. Au final, plus de 60% de notre produit final proviennent d’un rayon de quelques kilomètres autour de chez nous.
D’autre part, nous avons aussi pris un engagement formel de partager 2% de notre chiffre d’affaires – et non pas un pourcentage des bénéfices – avec des associations. Nous ne considérons pas cela comme un don, mais plutôt comme un investissement pour un monde plus équitable.
Squiz est un projet d’impact positif qui a fait ses preuves, pour le bonheur de notre village, notre territoire, nos financeurs, nos distributeurs, et nos clients finaux.
Oui, « ça marche » ! Nos gourdes se vendent en France et dans 20 pays d’Europe et nous sommes rentables depuis notre deuxième bilan. Et même si nous n’avons pas encore fait de levées de fonds nos ventes progressent d’à peu près 40% par an ! Et – surtout – grâce à ce succès, en 4 ans nous avons permis d’éviter la création de 200 tonnes des déchets non recyclables !
Et de la même façon que les consommateurs cherchent à trouver de la lisibilité sur l’origine de leurs tomates, la consommation d’énergie de leur lave-linge, et la réelle composition de leur marque de biscuits préférée, ils aimeraient aussi avoir un moyen de comprendre qui sont les « bonnes » et les « mauvaises » entreprises ! Et pas seulement les consommateurs, mais aussi les banquiers, les décideurs des marchés publics, les assureurs… tout le monde a envie de lisibilité, de transparence et de sincérité. Nous avons décidé de rejoindre le mouvement B Corp pour démontrer notre sincérité aux yeux de tous, pour devenir une Entreprise à Impact.
L’important, c’est l’impact.
Etre une entreprise non pas « à Mission », mais « à Impact », ce n’est pas faire le jeu des labels, des certifications, ni même avoir une politique RSE, c’est véritablement une question de mise en place d’un système d’amélioration continue au sein de l’entreprise. Ceux parmi vous qui viennent du monde de l’industrie, comme mon partenaire, Nicolas, qui a passé une bonne partie de sa carrière dans les usines du groupe PSA, savent très bien que dans une usine, tout est une question d’amélioration continue. On ne va pas réfléchir pendant 2 ans avant de lancer notre prochain super idée, on va faire ce qu’on est capable de faire dès aujourd’hui, même si ce n’est pas parfait. Le progrès est incrémental, sûr, et, surtout, il est mesurable. Dans une usine, nous avons tout ce qu’il faut pour mesurer l’efficacité des actions qu’on espère positives.
De la même manière, avec le Business Impact Assessment (BIA), « l’Evaluation de l’Impact des Entreprises » de B Corp, nous avons une vision holistique et complète du comportement d’une entreprise. Ce n’est pas un outil uniquement de reporting, mais un guide des bonnes pratiques, des meilleurs pratiques, et libre à chacun de choisir où il peut – et veut – placer la barre.
Nous, chez Squiz, nous avons mis la barre haut, très haut, on l’a mise tellement haut que nous sommes l’entreprise avec la plus haute note B Corp en France, mais nous sommes encore loin d’un score parfait, d’un 20/20, nous sommes plutôt à 13 ! Cela montre que la démarche B Corp est fait pour challenger toutes les entreprises, même celles de l’ESS, pour les tirer vers le haut. Dans l’intervalle entre deux évaluations, qui ont lieu tous les deux ans, nous travaillons pour nous améliorer et nous nous donnons un score « cible » comme objectif commun pour l’ensemble de nos collaborateurs.
Ce sont les impacts de chaque entreprise qui doivent être évalués objectivement, plus que leur raison d’être.
Le concept de l’Entreprise à Mission tel qu’il est décrit dans le rapport Notat-Sénard et, probablement, tel qu’il sera transcrit dans la loi PACTE, a vocation à encourager la lisibilité sur la finalité d’une entreprise – mais sans établir un cadre pour pouvoir comprendre les moyens utilisés pour y parvenir, et c’est vraiment ça le plus important.
Il y seulement les actes qui comptent. L’Entreprise à Mission ouvre une porte, et il ne faut pas s’arrêter là, il faut la franchir en devenant des sincères Entreprises à Impact.
[1] Elizabeth a un petit accent étant américaine de naissance et française de cœur
[2] Zéro Exclusion, Zéro Carbone, Zéro Pauvreté, est le « moto » de Convergences.org
[3] Etablissement et Service d’Aide par le Travail