Pour que l’entreprise redevienne une aventure humaine. Par Isabelle Autissier, Présidente du WWF France

Capture d_écran 2018-03-17 à 12.32.58

Lorsque l’on évoque les entreprises et le climat ou la biodiversité, il est courant de les opposer et d’utiliser un ton moralisateur voire accusateur. Bien sûr, nous connaissons les constats : en cas de « business as usual », nous sommes partis pour plus de 3,5° de réchauffement et sa cohorte de catastrophes pour l’agriculture, de phénomènes météo dévastateurs, de crises de la faim et ses innombrables déplacés. Côté nature, 58 % des vertébrés disparus en 40 ans de la surface du globe, ne sont que la partie émergée de l’iceberg, si l’on considère les insectes indispensables à la vie des plantes ou le plancton d’où provient la moitié de notre oxygène. Alors, oui, il reste, de par le monde, quantité d’entreprises prédatrices, aux vues aussi courtes que limitées à leurs profits immédiats. Il convient de le dire et de leur demander des comptes au nom de la collectivité humaine qui les accueille.

Prenons le problème dans un autre sens. L’entreprise est avant tout une aventure humaine, crée par des humains, pour des humains. Elle a toujours, parfois avec du retard, finit par épouser les attentes de sociétés en perpétuelles évolutions. Il fut un temps où elle prospérait grâce à l’esclavage, c’est rarement le cas aujourd’hui. Après-guerre, elle a accompagné, parfois précédé, un appétit de biens matériels et d’individualisation. Elle doit maintenant prendre en compte les menaces que ce modèle fait peser sur les fondamentaux de la vie, de la vie des entreprises par la même occasion.

Nos sociétés se sont bâties sur des stabilités millénaires, du climat, des plantes et des animaux autour de nous, d’une disposition d’eau pure ou d’air pur. Même si les aléas locaux ont été nombreux, globalement, la planète des années 50 ressemblait à celle qui vit les origines de l’homme. Puis tout s’est accéléré et en quelques dizaines d’années, une seule espèce a profondément tout déstabilisé, le régime des eaux, le niveau des océans, la composition d’une grande partie des sols, la pureté de l’air, le climat mondial et tous les grands écosystèmes, allant jusqu’à un taux alarmant de disparition d’espèces. Le forum de Davos ne fait pas d’autre constat lorsqu’il classe aux quatre premières places en termes de menaces économiques, des défis environnementaux.

La bonne nouvelle est que tout ceci est dû à l’homme et non au passage d’une comète ou aux caprices d’un dieu malveillant. Il ne tient donc qu’à nous de le modifier. A ce niveau, si nous sommes tous le problème, nous sommes aussi tous la solution.

Du point de vue de l’entreprise, l’intégration des paramètres climat et nature dans son modèle économique n’ont pas que des inconvénients !

Une politique réellement vertueuse et innovante en la matière attire talents et capitaux. Combien de jeunes sortants actuellement de grandes écoles pour qui le sens prime sur la rémunération ? Combien de milliards pour se détourner des énergies fossiles et s’investir sur les renouvelables ?

Sans parler d’anticiper sur des réglementations qui vont évidemment devenir de plus en plus précises sur les conditions environnementales de la production, être dans les métiers et les produits de demain est tout simplement un avantage concurrentiel. Mais bien au-delà de ces considérations entrepreneuriales, pouvons-nous, encore aujourd’hui, alors que nous savons et que nous le pouvons, assumer que nous n’avons pas agi ? Que nous avons préféré une routine et un modèle facile, à notre avenir et celui de nos enfants ?

Au WWF, nous avons la culture de ce changement et celle du débat avec les parties prenantes. Lorsque nous accompagnons une grande entreprise de pneumatiques à développer une certification de caoutchouc durable qui protège les écosystèmes forestiers et les peuples qui en vivent, nous voyons concrètement l’effet d’entraînement sur l’ensemble de la filière automobile ainsi que ses concurrents. Lorsque nous sommes au côté d’une multinationale fromagère pour que l’alimentation des bovins ne détruise pas les écosystèmes amazoniens, ce sont des dizaines de milliers d’éleveurs qui modifient leur modèle.

De même qu’il n’y a pas un seul s’entre nous qui, dans sa vie privée, ne peux pas faire plusieurs dizaines de gestes par jours pour réduire son empreinte environnementale, de même chaque entreprise peut remonter le fil de ses impacts. Emissions de gaz à effets de serre, consommation de matières premières, d’eau, émissions de déchets et de polluants, il ne manque pas aujourd’hui d’indicateurs et méthodologies pour traquer ces données. Plus généralement les analyses de cycle de vie, le type de produits et l’orientation que l’on pousse sur les marchés, l’obsolescence, la réparabilité, la facilité de recyclage, l’analyse de l’énergie grise, mais aussi l’intégration des solutions fondées sur la nature, celles qui assurent la préservation et même la reconquête de la biodiversité, la tendance à favoriser l’usage plutôt que l’objet, le partage plutôt que la multiplication… les entrées sont aussi nombreuses que variées. Là non plus nous ne pouvons plus plaider l’ignorance.

« Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci », disait justement Paul Eluard, ajoutant « et, pour atteindre à sa pleine perfection, il faut qu’il soit bien reconnu et qu’on en fasse profession. »

On ne peut mieux dire.

Isabelle Autissier, Présidente du WWF France, écrivaine et navigatrice

 

(Crédits photos : DR pour le portrait d’Isabelle Autissier et Rozenn Tanguy, amoureuse de la mer, pour la Bretagne)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s