Il y a quelques mois, Elisabeth Laville, la fondatrice d’UTOPIES, publiait dans Le Cercle Les Echos une tribune mettant en avant l’intérêt des consommateurs pour des marques ayant de vrais impacts positifs sur la société. Elle y décrit l’attente sociétale pour l’entreprise contributive, et invite les entreprises à changer de modèle pour y parvenir. Ce sujet étant particulièrement d’actualité Nous nous permettons de partager cette tribune et vous invitons à la retrouver sur le site des Echos également.
Les consommateurs plébiscitent les marques qui s’attachent, non pas simplement à minimiser leurs impacts négatifs, mais bien à avoir un impact positif sur la société. L’heure est venue pour le développement durable de transformer les offres et les modèles économiques…
De l’agroalimentaire à l’automobile, de la mode à l’électronique, de l’Europe au Brésil en passant par les États-Unis, un nombre croissant d’entreprises dans le monde affichent désormais une approche résolument positive du développement durable, orientée sur les opportunités d’innovation et de business que représente la résolution des problèmes écologiques et sociétaux contemporains.
Double signe des temps : d’un côté, début 2018, le débat public s’intensifiait en France autour du projet d’intégration au droit et aux statuts légaux de l’entreprise d’une mission ou d’une raison d’être sociétale dépassant le simple profit ; de l’autre, aux États-Unis, le premier fonds d’investissement au monde, BlackRock, également premier actionnaire d’une entreprise sur cinq outre-Atlantique, annonçait qu’il n’investirait plus désormais que dans des entreprises soucieuses, non pas seulement de limiter les risques liés à leurs activités (comme le fait historiquement l’investissement socialement responsable), mais bien d’avoir une contribution positive à la société.Cette révolution de l’impact positif et du « business for good » se joue aussi dans les caddies. L’acte d’achat n’est pas anodin et certaines marques, qui s’attachent à retravailler leur raison d’être pour y intégrer l’idée qu’elles sont à but lucratif, mais aussi au service de l’intérêt général, l’ont bien compris.
Au-delà de « gammes vertes » isolées, ces marques font à présent évoluer tout ou partie de leur offre, faisant converger développement durable et innovation, tout en invitant leurs clients à s’engager à leurs côtés. Et les consommateurs leur donnent raison : paradoxalement, l’engagement de la marque textile Patagonia incitant ses clients à garder leurs vêtements et à les faire réparer si besoin plutôt que de céder aux sirènes de la « fast-fashion », a permis d’augmenter les ventes de la marque de 40 % en deux ans.
Dans le même esprit, l’enseigne coopérative REI a fermé ses 140 magasins américains le jour de Black Friday, en offrant un jour de congé supplémentaire à ses 12 000 salariés et en invitant ses clients à aller se promener dans la nature en famille – plutôt que de s’entasser dans les magasins… mais cela lui a permis de gagner de nouveaux clients (30 % de sociétaires en plus) et d’afficher des ventes records en fin d’année en hausse de 20 % sur l’année précédente.
De manière croissante, les études montrent que la positivité et l’engagement perçus par les consommateurs sont le meilleur moyen de gagner, récupérer, défendre ou grignoter des points de parts de marché – en faisant évoluer positivement l’intention d’achat des consommateurs, Millenials ou pas.
Pourtant, malgré ces attentes fortes des citoyens, la perception de l’engagement positif des marques par les consommateurs stagne, voire régresse dans le temps.
Il est indéniable que les scandales qui se succèdent ont sérieusement écorné l’image des marques, de la viande de cheval dans les lasagnes au boeuf aux tricheries organisées dans les capteurs de moteurs. Le consommateur découvre les failles et suspecte qu’il ne s’agirait peut-être que de la partie émergée de l’iceberg – d’autant qu’avec la transparence imposée par le digital et la diffusion massive permise par les réseaux sociaux, on n’attend de toute façon plus qu’une marque soit parfaite, mais avant tout qu’elle soit honnête sur ce qu’elle essaie de faire, les difficultés rencontrées, etc.Quoi qu’il en soit, le consommateur ne se contente plus d’informations descendantes – qui sont soit trop simplistes pour être crédibles, soit trop complexes. La multiplication des étiquettes, codes couleurs et labels n’a sans doute fait qu’ajouter à la confusion… et à la défiance.
La barre des attentes est chaque année un peu plus haut, pour toutes les marques, y compris les plus vertueuses – puisque le consommateur attend désormais non seulement de vrais partis-pris, mais aussi et avant tout de la cohérence : un travail sur l’ensemble de la gamme, un parler-vrai, le tout sur le long terme, de façon proactive et volontaire.
Il est temps pour les marques de reconnaître enfin que le consommateur-enfant est devenu consommacteur-adulte.
Inventée dans les années 50, Madame Michu n’existe plus : la ménagère de moins de 50 ans, c’est fini, d’abord parce que désormais ce sont les plus de 50 ans qui ont le temps et l’argent pour consommer ; ensuite parce que Mme Michu, aujourd’hui, surfe sur le Web, regarde Cash Investigation, décrypte le marketing et les gammes « vertes » conçues de manière opportuniste pour les bobos, est membre d’une AMAP, se déplace en Blablacar, et enfin utilise son caddie de supermarché comme bulletin de vote.
Pour la convaincre de consommer à nouveau il n’y a pas de miracle ni de mystère : depuis la petite marque alternative et militante jusqu’à la multinationale qui utilise ce prisme pour se transformer, l’engagement doit être ancré au coeur du business et de l’offre, de manière ultra-cohérente et authentique.
Tenons-le pour dit : le décalage entre ce que véhicule la marque et son empreinte réelle (sur la planète, la société, l’économie locale…) ne passera plus inaperçu. La bonne nouvelle est que les défis à relever et les problèmes à résoudre ne manquent pas à notre époque : en s’y attelant, les marques peuvent inventer de multiples façons d’avoir un impact positif sur la planète et la société, avec sens et cohérence.
Chaque marque a le potentiel de changer le monde. La nouveauté, c’est que celles qui ne le feront pas ne survivront probablement pas.
Élisabeth Laville, fondatrice et directrice d’UTOPIES
Arnaud Florentin, directeur associé d’UTOPIES
@ElisabethLavill
@ArnaudFlorentin