Communiquer pour devenir durable – le pouvoir des mots. Par Laure Modesti-Jubin, The Society Company

Au moment où la loi Pacte fait l’objet d’un débat intense au parlement, notamment concernant son désormais fameux article 61 prévoyant que l’entreprise est « gérée dans l’intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », le sujet de la raison d’être (purpose) semble pourtant s’être imposé en quelques mois dans le débat public économique mondial au point d’être une ambition portée par le dirigeant du plus grand fonds d’investissement mondial.

Comment expliquer cette nouvelle convergence qui pousse les organisations et leurs dirigeants à s’engager publiquement en faveur de la société et à expliciter leur propre utilité ?

L’expérience nous a montré au cours des dernières années que l’engagement par la communication précédait l’action, parce qu’elle obligeait et créait les conditions de la transformation du réel. C’est finalement le sens de la communication qui, à l’image du pouvoir du langage, se révèle à nous aujourd’hui, au travers de ses différentes fonctions.

La communication transformante, quand la relation à l’extérieur permet de changer de l’intérieur.

La théorie des parties prenantes, invitant à privilégier les stakeholders aux seuls shareholders, développée par le philosophe et universitaire R. Edward Freeman l’a démontré dès les années 80. En tant que corps social, l’entreprise doit se mettre en lien avec tous les acteurs impactés par son activité pour échanger, comprendre et s’ajuster aux attentes de la société. Cette relation, partiellement incarnée par la communication d’entreprise, invite à une conversation avec ses parties prenantes, rendant l’entreprise plus responsable et consciente, mais aussi plus légitime, agile et innovante dans sa création de valeur « partagée », pour suivre la vision de Michael Porter et Mark R. Kramer (Harvard Business Review, 2011).

La communication revient alors à son sens premier : une « mise en commun » et un dialogue avec l’autre, et devient ainsi un véritable outil de management pour développer l’intelligence sociétale de l’organisation et réussir son adaptation à un environnement changeant, complexe, risqué et qui attend de l’entreprise qu’elle renoue le lien avec la Cité.

Comment ne pas considérer l’échange avec les salariés avec le même degré d’importance que l’information aux actionnaires ? Comment anticiper les évolutions de sa propre organisation si l’on ne s’intéresse pas aux millenials, cette nouvelle génération qui constituera bientôt l’essentiel de la population active comme des consommateurs ?

Désormais la relation d’une entreprise avec son écosystème s’impose. Près de 3/4 des salariés disent faire confiance à leurd employeur, une hausse très significative qui accorde une place prépondérante à l’entreprise dans la société, comme nœud central de lien social (source : Trust Barometer Elan Edelman, 2019).

La communication restauratrice, quand la transparence et l’ouverture retissent la confiance.

L’interaction de l’entreprise avec son environnement oblige à la transparence. La bonne information, à tous et au même moment, c’est d’ailleurs la règle fondamentale de la communication financière, qui nous rappelle que la financiarisation de notre économie aura au moins eu cela de positif que de faire émerger le principe de transparence. 

Surtout, ce dialogue avec les parties prenantes a été accéléré par la puissance des réseaux sociaux, donnant à chaque citoyen-consommateur la capacité d’interpeller, de mettre en doute et de faire changer les marques. C’est l’émergence d’une communication plus libre et surtout plus directe qui oblige désormais les acteurs économiques à s’ouvrir et à entrer en relation en temps réel.

Dans ce nouveau monde, l’engagement par la communication est le préliminaire à toute démarche responsable. L’ensemble de législations en matière de RSE se sont fondées sur ce principe, encourageant à la transparence et au reporting sur tous les sujets sociaux et environnements inhérents au fonctionnement même de l’entreprise. Qu’il s’agisse, au niveau international, du Pacte Mondial des Nations Unis, du Global Reporting Initiative, ou au niveau national de la loi dite « NRE », de la loi Grenelle 2, et plus récemment de la nouvelle directive européenne sur la Déclaration de Performance Extra-Financière, toutes les normes sont destinées à faire que l’entreprise communique sur son engagement et sa stratégie autour d’un référentiel de données. Communiquer, c’est chercher à instaurer la confiance.

La communication performative, quand dire, c’est (déjà) accomplir

L’acte de communication est certes souvent le fondement d’une démarche d’engagement, mais il peut aussi surtout devenir auto-réalisateur. Les mots désignent bien plus que des objets et le langage va au-delà de la description de la réalité. Le langage peut avoir une action sur le réel. John Austin, philosophe du langage britannique explique dans Quand dire, c’est faire : « en parlant, nous ne cherchons pas toujours à constater un état de fait, mais à accomplir quelque chose ».

L’interpellation des époux (« je vous déclare unis par les liens du mariage »), qui suit la lecture du code civil durant la cérémonie de mariage traduit cette notion d’engagement, de changement d’état et de nouvelle réalité consécutive à la prise de parole devant les tiers. Le langage ne rend pas seulement compte de la réalité, c’est aussi un outil pour créer de nouvelles réalités.

L’expression de la vision et de l’engagement des organisations peut-être à l’image de ce pouvoir structurant et même engageant des mots. En communiquant, l’organisation a le pouvoir de faire changer le réel pour qu’une vision prenne vie, sous réserve bien sûr de ne pas s’en tenir qu’à une déclaration d’intention, à ne pas faire « que de la com’».

En ce sens, dans toute déclaration, promesse ou engagement, il y a l’anticipation de l’avènement d’un l’acte. « Nous nous engageons à protéger la biodiversité et notamment à ne plus utiliser d’huile de palme » change notre posture, notre allégeance et suppose de mettre en place certaines actions dans un futur proche. La parole engage ! Aujourd’hui quel dirigeant ne sait pas que l’annonce d’un nouvel engagement l’oblige à revenir dans quelques mois en donner la preuve par les actes ? Les promesses sans action sont devenues des menaces réelles pour l’entreprise.

La communication unificatrice, quand nommer sa raison d’être donne le sens.

Nous avons désormais plus de compréhension sur ce qui différencie principalement l’humain des animaux grâce au regard d’Yuval Noah Harari dans Sapiens, Une brève Histoire de l’Humanité. Il ne s’agit pas de notre capacité à échanger des informations, car les animaux échangent eux aussi sans cesse des informations. Notre différence vient d’ailleurs, de notre capacité à croire en des concepts abstraits, qui permettent de donner sens à une situation à priori non vérifiable dans le réel. La notion de nation, de marque ou même d’argent en sont les meilleurs exemples.

Nous créons des concepts que nous transposons dans notre réalité et parvenons à influencer d’autres à croire en cette même réalité. En trouvant les mots pour exprimer au service de quoi une organisation humaine s’unit et s’anime, ses valeurs et sa culture se redessinent, son leadership s’en trouve renforcé et la prise de décision est grandement facilitée. Plus encore, une unité de sens émerge entre le management, les employés et la société, à la recherche de toujours plus d’alignement.

Aujourd’hui, les entreprises sont invitées à nommer et exprimer leur rôle et leur contribution à la société. Il ne s’agit plus pour elles de raconter une quelconque histoire, mais bien le sens de leur histoire, voire de l’Histoire.

Il s’agit pour la communication d’incarner pleinement la philosophie du développement durable, en partageant une direction tangible et une réelle signification. Elle doit aussi se concevoir dans un esprit plus humble, collaborative et systémique. Le proverbe « Choisis bien tes mots car ce sont eux qui construisent le monde qui t’entoure » prend aujourd’hui tout son sens. La raison d’être serait peut-être en passe de remplacer le storytelling, et c’est une très bonne nouvelle !

Laure Modesti-Jubin, The Society Company, Maître de conférence à SciencesPo Paris et HEC

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