Résultats, impacts et fierté : la MAIF a tout pour faire école. Une interview de Pascal Demurger, directeur général du groupe MAIF.

Dans le panorama des entreprises qui interpellent, parlons aujourd’hui de la MAIF. Au cœur de l’écosystème des entreprises à impact, ses résultats financiers sont impressionnants et réguliers depuis 10 ans – « nous avons multiplié les résultats par 15 en 10 ans », précise d’entrée de jeu M. Demurger, son directeur général. « Et nous sommes destinataire du Prix de la Relation Client pour la 15e fois consécutive ». Résultats, relation client exceptionnelle, fierté… On est sur une piste.

Ainsi, Pascal Demurger force le respect – et l’intérêt – de tous les observateurs – concurrents et autres secteurs d’activités faisant converger leurs regards vers cette entreprise mutualiste dont le slogan claque comme une victoire : MAIF, assureur militant. Et fier de l’être. Serait-ce la clé du succès spectaculaire de cette mutuelle centenaire ?

La MAIF… Nombreux sont les chefs d’entreprises dits classiques, tous secteurs confondus, qui se tournent vers cet OVNI, espérant peut-être en percer les secrets.

D’aucun pourront arguer que le statut particulier que confère celui de la mutuelle impose une certaine gouvernance, d’autres que l’entreprise ne produit rien mis à part du service, ce qui lui permet plus facilement d’être vertueuse. L’entreprise vient d’annoncer qu’elle devenait Société à Missions. C’est officiel, la MAIF n’est pas là uniquement pour ses résultats.

Mais force est de constater que Pascal Demurger, qui pilote la MAIF depuis plus de 10 ans, commence à faire école bien au-delà d’un cercle d’initiés tant ses recettes pourraient bien être partageables au point de faire levier sur d’autres secteurs, voire sur des pans entiers de l’économie. Bien sûr, j’étais tombée sur des verbatims dans des interviews, et j’avais visionné quelques interventions sur des conférences, écouté quelques podcasts, et décidé de lire son livre[1]. Mais rien ne remplace une rencontre.

The problem is management*. The solution aussi.

*Rendons à César ce qui est à César : cette formule est de William Edwards Deming, 1900 – 1993, théoricien américain de l’amélioration continue.

Au-delà de la qualité de l’offre, la clé de la réussite d’un business basé sur le service semble bien être le management. C’est presque une lapalissade. En tout cas, c’est un postulat, et surtout, cela a été, dès le début, celui de Pascal Demurger.  Il n’hésite pas, dans son livre, à parler du management comme un avantage concurrentiel. En quoi est-ce une vraie différence par rapport à d’autres groupes ? Est-ce que je peux lui demander d’expliciter le management made in MAIF ? Pourra-t-il nous partager ses clés, sans omettre les difficultés rencontrées ? Je lui laisse à présent la parole – mais nous nous autoriserons quelques digressions au cours de l’entretien.

« Le management, pour moi, est le point de départ. C’est la base sur laquelle on peut tout construire. J’ose un parallèle entre l’entreprise et le pays. La cohésion sociale, cela n’échappe à personne, est le sujet de préoccupation numéro 1 des français. Rien n’a de sens si l’on ne commence pas par la cohésion sociale, tout comme rien n’a de sens sans bien être dans la Cité ou épanouissement dans l’entreprise. On ne peut rien faire d’autre si l’on n’a pas ce socle de cohésion. Le mouvement des Gilets Jaunes et la multiplication des contestations et aujourd’hui le caractère non réformable du pays – quelle que soit l’orientation de la réforme, d’ailleurs – en sont des manifestations évidentes. On ne peut pas construire sur des sables mouvants s’il n y a pas de cohésion sociale. C’est tellement vrai en entreprise ! »

Quand cela est-il devenu évident pour Pascal Demurger ? A la question du point de départ de sa prise de conscience, il répond :

« Il y a en réalité plusieurs éléments déclencheurs, c’est une conjonction de facteurs :  des échanges avec mes enfants qui m’ont ouvert l’esprit, des rencontres, des lectures et, surtout la volonté de contribuer. Quand on dirige une entreprise, il me semble évident de s’interroger sur son utilité propre.  A quoi est-ce que je sers ? A quoi est-ce que je contribue ? Se pose naturellement la question du sens de notre action. En parallèle, nous réfléchissions, avec mon comité de direction, aux impacts amenés par le numérique. En effet, la transformation de la MAIF a démarré par le sujet du digital : il était indispensable de s’interroger sur les conséquences sociologiques de tels bouleversements.  Pas seulement sous l’angle des questions technologiques classiques telles que celles de la sécurité de la data et des bouleversements liés à l’usage éventuel de l’intelligence artificielle, non. Il s’agissait d’interrogations purement culturelles. Et notamment la question de l’horizontalisation de la société et des relations. L’entreprise pouvait-elle, dans ce contexte, rester un lieu de verticalité alors que le reste du monde s’horizontalisait ? »

L’accès aux responsabilités, en lui-même, confère d’autres responsabilités.

Et là, première digression « Il y a aussi quelque chose qui m’a soudainement frappé. Autant d’autres révolutions intérieures peuvent être progressives, autant celle-ci ne m’a pas laissé le temps de la maturation.  J’ai ainsi pris un jour conscience–qu’en tant que dirigeant, on a un impact sur le bonheur des gens, leur équilibre et leur bien-être – car évidemment ce qu’ils vivent au travail rejaillit sur leur vie privée. Et lorsque l’on prend conscience de cela, on ne peut pas se permettre de négliger ce paramètre, ni faire comme si de rien n’était. Pour moi cette révélation a été une forme de choc. L’accès aux responsabilités, en lui-même, confère d’autres responsabilités. Cela rejoint le sujet de l’écologie. Tant que l’on ne prend pas conscience, on vit dans l’insouciance. Mais le jour où l’on comprend, cela peut devenir structurant. Surtout si l’on a des leviers pour changer les choses !  En entreprise en tout cas, et particulièrement sur le front du management, chaque décision compte, et ce de manière on ne peut plus directe.  Alors oui, sous couvert de décisions stratégiques prétendument vitales à court terme pour l’entreprise, les managers peuvent empirer ou améliorer les conditions de vie de milliers de gens à travers une série d’injonctions qui n’occupent souvent que quelques lignes sur un mail – mais peuvent avoir des conséquences en profondeur et sur la durée. »

Ici j’ai eu envie de rajouter que certains s’accommodent très bien de faire descendre leurs décisions sur les équipes en sachant que cela allait forcément impacter leur vie, mais sans paraitre s’en soucier outre mesure. C’est tellement évident, toute personne ayant exercé un emploi quelque part en ayant fait l’expérience, que je n’ai rien dit.

« En tant que dirigeant, on prend conscience de la gravité et de l’ampleur des enjeux. La prise de conscience que ce que l’on fait a un impact, et que l’on y peut quelque chose en termes de management, change la donne. Le monde change, et nous ne pouvons pas être les seuls à ne pas changer ! L’entreprise évolue aussi à travers les aspirations des nouvelles générations. On se doit d’en tenir compte – y compris pour la bonne marche de l’entreprise ! »

Peut-être même – ne serait-ce que pour la bonne marche de l’entreprise, finalement. Pascal Demurger revient alors sur la situation lorsqu’on lui a confié la direction de l’entreprise, il y a 12 ans :

« Je venais d’un grand corps d’Etat, avec un parcours de carrière classique. Je suis donc arrivé à la MAIF avec un schéma de pensée classique : il s’agissait après tout de ma première vraie expérience dans le privé, à la direction d’une grande entreprise. Et je me suis rattaché aux canons et aux dogmes du management traditionnel. C’est compliqué d’imaginer faire autrement quand on n’est pas suffisamment expérimenté ni légitime ».

On a cru entendre « ni expérimenté, ni légitime pour questionner ces dogmes », mais Pascal Demurger a juste dit : « ni expérimenté, ni légitime ». Il commence donc sa mission avec, à partir des années 2009, la restructuration complète de toute l’entreprise hors siège. C’est-à-dire le cœur vivant de l’entreprise, ses forces vives et ses bras armés : le réseau commercial et le réseau de gestion de sinistres, soit l’essentiel des effectifs de l’entreprise.

« A l’époque, nous avons restructuré en regroupant les équipes qui étaient jusque-là disséminées, en ciblant notamment les activités de prise d’appels téléphoniques, ayant, comme d’autres entreprises, fait le constat que, en dessous d’une masse critique, ces activités peuvent se révéler assez peu efficace. Nous avons rassemblé les équipes pour augmenter la productivité de ces centres, et en parallèle, nous avons spécialisé les équipes à travers des filières. En effet, traditionnellement, les agents avaient plusieurs missions – du conseil à la vente en passant par la gestion de sinistres, mais le métier de l’assurance devenait trop complexe. Ce processus a été compliqué pour les salariés, avec à la fois des changements géographiques, et des changements de métier ».

Gérer la transformation sans laisser personne de côté, c’est possible ?

On interrompt : pas de plan social ? On ne peut s’empêcher de demander quelles ont été, à l’époque, les conséquences de ce plan sur l’emploi… Pascal Demurger reprend aussitôt :

« J’avais pris deux engagements apparemment contradictoires : on fera la réorganisation avec tout le monde. Personne ne devait rester au bord de la route. Et on n’allait pas imposer de mobilité géographique forcée. Nous avons tenu nos engagements. Avec un peu de gymnastique bien sûr, mais sans dégâts collatéraux humains. Globalement, cela veut dire que la configuration de l’entreprise a radicalement changé : nous nous sommes retrouvés avec quelques 70 structures de 50 à 80 personnes, dont certaines étaient de pur plateaux téléphoniques. Et là, problème : de manière traditionnelle, optimiser l’activité de telles structures impose de nommer un manager pour améliorer l’efficacité et de la productivité du plateau… Cela implique de cadrer au maximum la relation et d’établir des KPI quantitatifs ambitieux. Et au final, on travaille de manière ultra formatée…. Le stade suprême d’un management de plateau téléphonique, c’est le script ! Et si l’on fait cela, il faut bien avoir conscience que l’on ruine la relation client en même temps que le cerveau des téléconseillers ! »

« Cependant, la MAIF a un modèle de développement un peu particulier, qui repose sur la capacité à générer de la satisfaction, et donc de la fidélité client, ce qui permet d’économiser sur les coûts d’acquisition et le recrutement. Pourtant, il fallait créer ces plateaux téléphoniques et en optimiser le fonctionnement ! Et cela a été fait, sans aucun regret, les gens eux même s’y retrouvaient – avec une activité moins large, ils étaient plus sereins. Mais il fallait bien adresser frontalement le sujet du manager pour ne pas déshumaniser notre modèle unique. Nous savions que nous allions générer une relation client correspondant au style de managérial que nous allions mettre en place. Il n’existe strictement aucune étanchéité entre les deux. »

« Et nous avons réussi cette transformation culturelle managériale ! »

«  Cette prise de conscience a fait que nous avons décidé, dans les années 2013 et 2014 de nous lancer dans une révolution culturelle sans précédent dans l’entreprise en changeant le style managérial, les valeurs du manager, et, d’une manière générale, les comportements dans l’entreprise. Et nous avons réussi cette transformation culturelle managériale ! Nous avons pour cela, par exemple, radicalement stoppé le bonus ou le commissionnement individuel des commerciaux, basé sur leurs résultats. A la place, nous avons mis en place, il y a quelques années déjà, un mode de pilotage qui repose sur un quadriptyque d’indicateurs  pondérés à parts égales : 1/ l’épanouissement des équipes, 2/ la satisfaction clients, 3/ l’impact sur la société et 4/ la performance de l’entreprise. L’accord d’intéressement est conditionné par ces critères et l’enveloppe est distribuée de manière égalitaire au sein de l’entreprise et non en pourcentage des salaires comme c’est habituellement le cas. C’est aussi notre façon de démontrer à chaque salarié que sa contribution compte tout autant que celle d’un autre, peu importe son niveau dans la hiérarchie».

« Bien entendu, il y a eu quelques freins, émanant de managers, d’organisations syndicales et de collaborateurs pour lesquels il était difficile de se remettre en cause pour progresser collectivement. Le management dit « classique » peut ainsi se révéler, certes, peu épanouissant, mais il peut aussi paraitre confortable. Or dans cette mutation, nous basculions vers un management qui, , devenait plus exigeant, pour tout le monde. Il est en effet plus simple pour un manager de faire reposer son action sur l’autorité, les galons, le grade, plutôt que sur la capacité à susciter de l’envie. Il est aussi plus difficile d’exercer un leadership que de donner un ordre. De faire confiance que de contrôler ses collaborateurs. Et d’être bienveillant et attentif dans la relation que d’être froid voire odieux. Ce changement de culture managérial est également plus exigeant pour les collaborateurs, qui ne peuvent plus se réfugier derrière un cadre et doivent désormais trouver des solutions à un problème plutôt qu’appliquer des procédures. La responsabilisation implique aussi de laisser aux collaborateurs des « marges de manœuvre » plus importantes. ou encore d’instaurer une forme de « droit à l’erreur ». Et finalement, changer le management change aussi la donne pour les organisations syndicales. Soudain, on sort d’un cadre certes insatisfaisant et stérile, mais bien établi, au sein duquel chacun joue son rôle – pour le syndicat, celui de revendiquer toujours plus face à un patron qui serre les boulons. Relation stérile mais facile… Le syndicaliste qui accepte de changer de rôle et de posture prend le risque de ne pas être compris par sa base… »

Pascal Demurger ouvre alors une parenthèse pour illustrer le changement dans la relation avec les syndicats :

« Pendant le confinement, j’ai réalisé un petit film hebdomadaire, sur mon smartphone, pour rester en contact avec les équipes, rassurer, les tenir au courant de la situation, etc. Et les collaborateurs y ont été très sensibles. J’ai reçu des centaines de messages enthousiastes, de remerciement et de fierté d’appartenance à une entreprise qui prend autant soin de ses équipes – c’est comme si j’avais parlé directement à chaque collaborateur ! Au sortir du confinement, nous avons décidé de pérenniser l’expérience, et nous avons cette fois réuni ,en visio, les 8000 salariés ! Nous avons fermé toutes les agences pendant 2 heures pour que tout le monde puisse être présent, et poser des questions sur le fil, en live ! J’ai ainsi répondu aux interrogations et aux inquiétudes, dans une totale transparence, explicité ce que j’attendais des équipes, et clarifié comment nous allions travailler ensemble. Nous sommes également revenus sur ce que nous avions appris de la crise et du confinement. Alors, quid du télétravail ? C’est à cette occasion que j’ai annoncé que j’étais favorable à la généralisation du télétravail, à raison de 3 jours par semaine maximum, sur la base du volontariat, bien évidemment. Cette annonce avait donné lieu à une réunion intersyndicale la veille. Et aucune organisation n’avait émis la moindre réticence ! Nous avons, je crois, des relations honnêtes et privilégiées. Je leur parle de ce que j’aimerais faire, et je leur dis parfois : aidez-moi à atteindre mes objectifs ! »

A la question : est-ce que cela a vraiment été si facile de changer du tout au tout cette culture managériale ? La réponse est : évidemment non.

« Il y a eu des réticences, et a minima des questionnements, émanant de quelques personnes qui ne s’y retrouvaient pas. Certains avaient besoins d’un environnement plus concurrentiel ou plus individualiste – car pour eux, plus stimulant.  Changer une culture d’entreprise veut aussi dire que l’on attire les personnalités qui souscrivent à cette culture, et que d’autres peuvent se détacher si elles n’y adhèrent pas. »

La fierté de contribuer ensemble à une mission plus grande que soi semble être le ciment de cette nouvelle culture.  On en vient au cœur du sujet : à la MAIF, visiblement, la fierté est un moteur. Côté collaborateur et côté management. Et pour Pascal Demurger lui-même.

« Je constate que j’ai, avec les collaborateurs de la MAIF, un attachement réciproque. Depuis quelques années, en plus des visites de terrain, nous organisons des journées stratégiques. Nous réunissons 250 collaborateurs – attention, réunions interdites aux managers ! Et nous parlons ensemble de stratégie. Ces journées commencent toujours par une intervention de ma part. Je leur explique la stratégie globale de l’entreprise, la manière dont nous voyons l’évolution du marché, de la société, des concurrents, de nos atouts, de nos faiblesses, comment la MAIF peut s’adapter, ce que l’on peut faire de plus, etc. Et ce de la manière la plus transparente possible. Puis vient le temps des questions. Ce sont des moments incroyables, à la fois par le niveau des questions et par la qualité des échanges. Je constate qu’il y a moins de retenue que dans les réunions avec les managers, et que les questions sont beaucoup plus directes – peut-être parce qu’il y a moins d’enjeux d’image, moins de retenue, chez les collaborateurs que chez les manager ? En tout cas, l’intensité dans la proximité est complètement unique. Physiquement. »

A la question : est-ce que vous en sortez épuisé ? La réponse est : au contraire !

« J’ai en sortant une énergie incroyable. On me donne de l’énergie et j’ai donné la mienne. On partage de l’énergie. Et l’une des questions la plus posée : est-ce que vous allez rester ? Cet attachement appelle la fierté. »

Dans votre gouvernance, comment ça se passe ? Encore une question de béotienne, mais je la partage. Dans une mutuelle, les sociétaires élisent leur représentant à l’assemblée générale. A la MAIF, elle est composée de presque 1000 personnes. Et cette assemblée générale élit un conseil d’administration, qui lui-même désigne un directeur général. Pascal Demurger hérite d’un mandat social révocable ad nutum. Illimité mais révocable du jour au lendemain et sans motiver la décision. 

A ce stade de l’interview évidemment, je prends en note mentale de vérifier ce que Ad Nutum signifie. Je partage mes trouvailles : « Ad nutum » est une expression dérivée du latin qui caractérise le fait que celui qui a confié un mandat à une autre personne est en droit de retirer les pouvoirs confiés sans avoir à justifier des motifs de ce retrait. Mais selon la jurisprudence, la décision de mettre fin à la mission des dirigeants de sociétés doit être appréciée par les Tribunaux qui peuvent éventuellement estimer qu’une telle mesure peut ou ne pas être justifiée, notamment en cas de perte de confiance et de détérioration des relations avec les administrateurs. Gageons alors que Pascal Demurger va encore rester un petit moment, si les résultats sont toujours au rendez-vous.

L’ambition de faire école avec un modèle d’entreprise européenne

Je souhaitais revenir sur l’ambition de Pascal Demurger de faire école avec son modèle d’entreprise politique européenne. Concrètement : comment fait-on pour opérer ces transformations quand on est sous le joug du temps court ? On le voit en politique : le temps long n’existe plus, et c’est bien l’une des raisons pour laquelle la transformation environnementale et sociétale doit avoir lieu via l’entreprise. Mais comment peut-on faire quand on ne dispose pas du temps long de la mutuelle, mais uniquement du temps court des actionnaires ?

« C’est le sujet le plus complexe. Ma conviction : aujourd’hui il y a une attente sociale à l’égard de l’entreprise qui est croissante et tellement forte que l’entreprise n’a pas d’autre choix, à terme, que de s’engager. Il y a également une attente du côté des collaborateurs et futurs collaborateurs. Or on ne peut pas avoir une marque employeur digne de ce nom si l’on a un management traditionnel. J’ai vu l’évolution de la marque employeur de la MAIF, que nous mesurons notamment par le nombre de CV mais aussi par l’activité sur les réseaux comme Linkedin. Nos meilleurs ambassadeurs sont internes, et on ne leur demande rien ! Fort de ce constat, nous ne pouvons pas faire autrement que de nous engager à donner toujours plus du sens et à faire confiance. Donc à modifier le management en profondeur. On en revient toujours au management ! Mais le changement vient aussi des clients, qui attendent que l’entreprise se comporte bien, qu’elle ne licencie pas alors qu’elle fait des bénéfices, qu’elle n’ouvre pas ses call centers dans des pays moins disants socialement, par pure recherche de profits. Ces tendances ne se traduisent pas encore complètement dans les choix de consommation, car d’autres critères prédominent encore, mais le mouvement est en marche et je suis persuadé qu’il sera pérenne. Ce mouvement est visible également, et de plus en plus, du côté des investisseurs et des épargnants. En réalité, il n’y a pas de profitabilité durable pour des entreprises qui ont des comportements contraires à l’éthique. Elles se feront tôt ou tard sanctionner par les clients et auront moins de perspectives d’avenir. « Ces attentes sociales envers l’entreprise, quelles que soient leur origine, déclenchent une vague que rien ne pourra arrêter. La grande majorité des directeurs de grands groupes en ont pris conscience. Même s’ils ne sont pas, à titre personnel, convaincus que l’on doit s’engager pour sauver la planète, au moins commencent-ils à comprendre qu’ils doivent s’engager pour sauver leur entreprise. En réalité ma conviction est que l’engagement n’est plus comme cela a toujours été un frein, mais devient un véritable levier et un moteur de la performance ».

« Il existe une contradiction réelle, et donc une tension forte, entre ce que l’on fait pour répondre aux exigences du temps court versus celles du temps long. Tant pour les salariés, que pour les clients, les actionnaires et pour l’entreprise. A court terme, on cherche tous le moins cher, le plus facile, le plus gros ROI. Et nous, en tant qu’assureur, on pourrait être tenté de vendre n’importe quel contrat ou d’essayer d’indemniser le moins possible un sinistre. Nous sommes conduits à faire des choix qui sont parfois vertigineux, car ils vont à l’encontre non pas du bon sens, mais du sens commun. Par exemple, lorsque l’on supprime la commission du commercial, nous faisons face à un vrai risque qu’il vende moins. Quand on encourage les conseillers à dire aux clients qu’ils n’ont pas forcément besoin de tel ou tel contrat, et qu’ils peuvent en choisir un moins cher, on a l’impression que l’on va à l’encontre des intérêts de l’entreprise. Mais il s’agit d’intérêts immédiats. Le lieu qui réconcilie ces intérêts contradictoires, c’est le long terme. Et puisque, à travers notre style de management, la qualité de la relation client et la fidélité sont au rendez-vous, sur le long terme, la marque s’y retrouve pleinement. Donc oui, c’est vrai, si on est soumis à des actionnaires qui ne voient que la rentabilité du court terme,  c’est plus difficile. S’ils exigent des dividendes toujours plus élevés au trimestre ou cours de bourse plus haut, tout de suite, on ne peut pas faire différemment.  Il faut les convaincre qu’un autre modèle peut être créateur de valeur sur le long terme. Convaincre et démontrer ».

Cette histoire de capacité de conviction me rappelle celle de l’ex patron d’une grande chaine américaine de coworking, qui a levé auprès de banques et d’investisseurs des dizaines de milliards sur la seule base de son excellent story telling. D’un côté, il est incroyable de voir avec quelle facilité une bulle a pu être créée avec la force de conviction d’une seule personne. Et pourtant, cela a bien eu lieu. Et de l’autre, il est tout aussi incroyable qu’une entreprise qui fait des profits et demanderait un peu de temps pour s’engager, pour la société, l’environnement et le bien commun, de manière rationnelle et mesurée, aurait du mal à convaincre. Et pourtant, cela a bien lieu, tous les jours, et partout. Est-ce naïf de s’insurger d’un tel constat ?

« On est dans l’irrationnel. Dans la myopie. Mais le temps est venu d’avoir une double focale »

« Il n’existe pas de recette miracle, mais tout de même, oui, il faut un leadership fort et un track record qui rassure. Un patron qui s’exprime sur ces sujets répond à une double attente, celle de la transformation environnementale et sociale, mais aussi celle du profit. Mais force est de constater qu’il est rare qu’une seule et même personne incarne ces deux types de sujets à la fois. Les sujets de l’environnement et de la cohésion sociale sont rarement portés par des femmes et des hommes d’affaires que l’on pourrait juger performants ou qui inspireraient confiance en tant que gestionnaire rigoureux. Donc forcément, un patron qui aurait à la fois une démarche sincère et qui en plus  aurait du succès, pourrait être audible et percutant. . »

« En un peu plus de 10 ans, les résultats ont été multipliés par 15 : quelle autre entreprise peut avancer un tel succès ? Pourquoi ne ferions-nous pas, école, en effet ? Nous avons du poids pour entrainer. Et faire cette fameuse – et pas si vilaine, au fond – tache d’huile. On ne peut plus nous traiter de naïf. »

A ce stade, on fait remarquer qu’en effet, un énarque, ayant fait un passage remarqué au Budget, au sein du Ministère de la Finance, ce n’est pas un parcours de naïf. De militant, peut-être ;-). Mais pas de naïf.

Et la MAIF poursuit sa transformation…

Venons-en à l’actualité de la MAIF, qui vient d’annoncer, quasiment au même moment qu’elle devenait Société à mission, le fait qu’elle allait (enfin ?) assurer les entreprises. Si la première annonce est dans la continuité de tout le travail de transformation de l’entreprise, je m’intéresse tout particulièrement à cette seconde information. La MAIF pourrait-elle assurer toutes les entreprises ? Demain, le CAC40, pourquoi pas ?

« Nous sommes déjà un grand assureur du monde associatif. Et certains domaines d’activité et secteurs comportent les mêmes métiers que dans le  privé. Nous avons donc décidé de privilégier, dans un premier temps, les métiers que nous connaissons déjà et sur lesquels nous avons une expérience. Et nous privilégions également pour l’instant les PME et PMI plutôpt que les grands groupes. Mais nous ne nous interdisons rien, car la décision d’assurer aujourd’hui les entreprises répond à deux objectifs : d’une part, évidemment, celui de notre diversification sur notre marché. Il y a en effet une forte dimension stratégique en termes de relais de croissance et de résilience pour nous dans le fait d’adresser le marché des entreprises. Mais il y a d’autre part clairement aussi un volet « politique » : devenir l’assureur des entreprises engagées, qui contribuent au bien commun.. Mon rêve, peut-être un peu fou, est le suivant : un jour, s’assurer à la MAIF, parce que nous aurons mis en place une politique de souscription exigeante, deviendra une forme de label pour les entreprises. Oui, la MAIF choisira ses clients ! Nous n’accepterons d’assurer que les entreprises qui s’engagent réellement. Voilà qui alimente en énergie durable le moteur de notre transformation. »

Merci monsieur pour cette leçon de management.

Cet article a été rédigé par mes soins (Céline Puff Ardichvili, pour vous servir) sur la base d’un entretien vespéral et riche avec Pascal Demurger.


[1] « L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus », Pascal Demurger, Éditions de l’Aube, 2019.

[2]  William Edwards Deming, 1900 – 1993, théoricien américain de l’amélioration continue.

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