
« BreakingNews 17 juillet 2027 – La forêt de Fontainebleau, autrefois épargnée par les incendies estivaux, brûle depuis une semaine. Il n’en reste quasiment plus rien. La canicule qui frappe l’Europe depuis près de 30 jours n’offre aucun répit et aucun signe de rafraîchissement n’est attendu pour les semaines à venir. Le record de décès de l’épisode caniculaire de 2003 a été multiplié par 8, emportant déjà plus 580 000 personnes, dont près de 20% de très jeunes enfants. La perte des récoltes de céréales a été estimée à 80%, faisant s’envoler les prix des denrées alimentaires de base pour la troisième année consécutive. Des coupures d’eau quotidiennes sont effectives dans tous les pays de l’Europe du sud… »
Lorsqu’on évoque les scénarios catastrophes associés au réchauffement climatique en cours, il est souvent question de phénomènes attendus à la fin du siècle, et souvent, très loin. La réalité sera tout autre.
L’occurrence et la gravité des dérèglements climatiques résultant de l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’attendront pas 2100 pour se manifester partout sur la planète, et frapperont aussi « ici ». Les seuils d’alerte étant déjà dépassés, un emballement climatique irréversible est désormais envisageable à l’horizon d’un maximum d’une dizaine d’années. Les causes sont imbriquées, mais l’une d’elles est le dégel attendu du permafrost sibérien qui relarguera des milliards de tonnes de méthane, lequel est doté d’un pouvoir réchauffant 23 fois supérieur à celui du CO2. Les conditions de vie deviendront intenables sur certaines zones du globe. Les réfugiés climatiques poussés par la faim, la misère et les guerres, seront poussés à l’exil, toujours plus au nord.
Nous n’en sommes pas encore là ? Sans doute. Mais on s’y dirige tout droit.
Jusqu’à présent, la plupart d’entre nous regardent les signaux qui s’accumulent avec un certain fatalisme. Partout dans le monde ou presque, les décideurs continuent de nous endormir en faisant semblant de se préoccuper du problème tout en continuant à le financer activement. Force est de constater que la période actuelle ne réveille que peu de consciences du côté des politiques : avec l’urgence sanitaire et l’urgence économique qui en découle, il est, d’un point de vue politique justement, plus sûr de reléguer l’urgence climatique au second plan.
Les responsables semblent perdus aujourd’hui ? Attendez donc demain, quand nul ne saura comment sortir des boucles de crises imbriquées, quand arrivera un « 17 juillet 2027 », comme il est arrivé un 13 mars 2020, jour du premier confinement COVID-19 en France : brutalement.
Pourtant, contrairement à la pandémie, nous voyons des signes, de plus en plus criants et perceptibles par tous. Et contrairement à la crise sanitaire, la promesse d’un vaccin salvateur pour un retour rapide au « monde d’avant » sera vaine. Le manque de courage politique, l’ultra concurrence et la financiarisation du monde n’auront fait qu’exacerber les dérèglements climatiques et avec eux, les inégalités, fragilisant encore les hommes et les écosystèmes épuisés. Il n’y aura alors non seulement aucun retour au business as usual, mais aussi la certitude que ce sera pire la prochaine fois. L’argent magique de la planche à billet ne sera capable de ramener ni la santé des personnes ni celle de la nature, dont on comprendra qu’elles étaient liées. Et les démocraties vacilleront face à des soulèvements et des répressions, n’épargnant aucun continent.
Il est impossible de deviner quelle sera la tragédie climatique qui déclenchera la prise de conscience citoyenne.
Que se passera-t-il lorsque les peuples comprendront la gravité réelle de la situation ? Certains décideurs seront sans doute jugés, mais cela ne réparera rien. Nous sommes comme dans une voiture qui fonce droit sur un mur, nous avons juste encore la possibilité d’appuyer très fort sur la pédale de frein pour éviter un choc brutal. Mais il est déjà trop tard pour passer à côté de la case « adaptation » : le climat que nous connaissons aujourd’hui va disparaître à jamais. Quoi que nous fassions, l’inertie du système climatique fait que la terre va continuer à se réchauffer pendant des décennies.
Choisir notre trajectoire de décarbonation de l’économie est encore possible, même si la fenêtre d’action se réduit dangereusement.
Si le temps long des États, les normes et règlementations ne peuvent, en l’état, être à la hauteur des enjeux, l’entreprise, elle, est le seul acteur capable d’actions rapides et concrètes à court terme. Puisqu’il n’y aura aucune économie profitable sur une planète transformée en étuve, et que leur véritable objectif est de perdurer, elles ont toutes les raisons d’opérer leur transformation. De plus en plus d’entreprises semblent avoir compris l’urgence, mettant en préalable de leurs modèles d’affaires les limites planétaires, mais aussi le bien-être humain et la justice sociale. Avec plus ou moins de sincérité, elles se mettent en action : encourageons les dans cette mutation, protégeons-les des activistes cupides et même, acceptons provisoirement certaines de leurs injonctions contradictoires, mais soyons implacables sur le suivi de leurs engagements. Tant que l’action publique sera inopérante, l’action combinée des entreprises et des citoyens, devenus acteurs économiques lucides, représentera notre seule chance collective.
Notre modèle de société prédateur du vivant et du climat nous fait entrer dans le temps des conséquences de notre irresponsabilité. Cessons de remettre l’action non seulement à demain mais aussi à « plus loin » : c’est ici et maintenant que tout se joue.
A nous, acteurs de l’entreprise, de prendre toute l’envergure du mot « responsable ». A nous d’avoir collectivement le courage mais aussi l’orgueil et surtout la décence de redonner un espoir à la nouvelle génération.
Fabrice Bonnifet, président du Collège des Directeurs du Développement Durable, Directeur Développement Durable du Groupe Bouygues, administrateur du Shift Project
Céline Puff Ardichvili, directrice générale et associée, Look Sharp
Co-auteurs de L’Entreprise Contributive : concilier monde des affaires et limites planétaires, Dunod, 2021