L’entreprise est un moteur nécessaire de la transition
« Pourquoi vas-tu aller travailler en entreprise si tu veux changer le monde ? » Il est souvent mieux vu de travailler en ONG, dans le secteur public ou dans l’économie sociale et solidaire que pour une entreprise privée. De ma modeste expérience de plus de 10 ans à accompagner la transition des organisations, l’habit ne fait pas le moine. On ne réussira pas la transition sans changer les entreprises. Tous les secteurs d’activité ont besoin de muter et vont devoir devenir contributifs ou mourir. Certaines entreprises – certes, à ce jour, bien moins qu’il n’en faudrait – sont capables d’actions positives remarquables. Jaugeons et jugeons a posteriori les actes et les impacts des porteurs de projets, plutôt qu’a priori selon la nature de leur organisation ou le pedigree de leurs actionnaires.
L’entreprise privée, c’est avant tout le lieu de l’emploi de 20 millions de Français sur les 30 millions de notre population active, qui sont des citoyens aussi sensibles et inquiets que les autres aux évolutions du monde.
Fort heureusement, rares sont ceux qui se lèvent le matin en se demandant comment enrichir encore plus leurs actionnaires en épuisant davantage les ressources de notre planète… L’entreprise peut le pire, mais elle peut aussi le meilleur. Les entreprises sont des organisations efficaces. Elles doivent l’être désormais pour régénérer notre environnement. Il est amusant d’en revenir à ce qu’est la définition même de ce terme « d’entreprise » : « Ce qu’on se propose d’entreprendre, de faire (dessein, projet) ; mise à exécution d’un projet. Exemple : une entreprise difficile ». Pas de doute, la transition est une entreprise difficile, mais au combien enthousiasmante.
Soutenons mieux ceux qui ont le courage de tenter de faire basculer les entreprises
Notre société ne réussira sa transition que si les entreprises basculent, et de plus en plus de gens y œuvrent, depuis l’intérieur de celles-ci. Comme toute organisation humaine, les entreprises peuvent et doivent changer, grâce à l’énergie de ceux et celles qui les constituent. Pour réussir à les faire muter, les éclaireurs désireux d’activer cette transition depuis l’interne ont besoin à la fois de pressions exigeantes de la société civile (pouvoirs publics ou citoyens), mais aussi de soutiens bienveillants, surtout au début, quand ils rament à contrecourant. Il faut une certaine force pour oser déranger l’ordre établi de sa structure, oser questionner le sens et son cœur de métier, plutôt que d’attendre le changement de façon passive. Passons de la désobéissance civile à la sur-exigence professionnelle vis-à-vis de nos employeurs, dans la lignée du réveil citoyen étudiant. Il y a une forme de grand gâchis, lorsque ceux qui ont compris le besoin de changement sont obligés de quitter leur entreprise, afin de ne plus être freinés pour agir.
Si les petits gestes écologiques sont les plus faciles, c’est lorsqu’on s’attaque au modèle d’affaires que les choses deviennent ardues.
Chacun doit faire sa part du colibri, ce qui signifie pour certaines entreprises faire sa part du lion, voire de mammouth. Ne pas faire au moins sa part, c’est être irresponsable et risquer l’extinction. Le risque majeur pour les entreprises c’est de ne pas changer suffisamment vite et suffisamment fort. Le défi des entreprises, pour devenir contributives, c’est aujourd’hui de dépasser le stade des quelques sympathiques bonnes pratiques et de changer d’échelle, en osant réinterroger leur stratégie, pour que leur valeur ajoutée à la société dépasse quantitativement leurs nuisances. Il s’agit d’assumer sa responsabilité élargie, en travaillant à la baisse des impacts de ses clients et de ses fournisseurs, et pas juste la sienne. Devenir une entreprise contributive n’est pas une ballade, c’est un marathon. Les petits pas sont utiles, mais ils ne suffiront pas. Ce n’est pas un effort anodin, cela mérite sérieux, engagement et préparation, mais c’est à la portée de groupes de personnes travailleuses et déterminées.
Être une entreprise contributive, cela peut être aussi s’intégrer à d’autres entreprises qui ont décidé de changer leurs trajectoires, en apportant à ces groupes un nouvel état d’esprit et des savoir-faire, en contribuant à leur projet de transformation. Certains groupes œuvrent à leur mue en intégrant à leurs activités des entreprises pionnières et contributives. Naturalia a ainsi rejoint le groupe Monoprix / Casino, Ben & Jerry’s a rejoint le groupe Unilever, Whole Food a rejoint Amazon, Solaire Direct et La Compagnie du Vent ont rejoint le groupe Engie, Lampiris, Saft et GreenFlex (dont je suis un dirigeant) ont rejoint le groupe Total. Il y a de multiples façons pour les entreprises d’agir comme contributrices. A chacun son chemin, l’important est de vouloir aller loin.
Une décennie pour changer d’horizons
Mais soyons clairs, aujourd’hui les entreprises ne font pas assez. Le bulletin est toujours au « passable, a du potentiel, peut mieux faire ». L’entreprise peut être source de progrès positif, mais il va falloir passer de quelques entreprises contributives à une économie régénérative, une économie où les entreprises cessent d’avoir comme réflexe de fuir l’impôt et leurs responsabilités, et où l’on donne du temps et des moyens aux intrapreneurs et entrepreneurs du changement. Sortir d’une crise sanitaire majeure ne doit pas nous freiner mais nous y encourager, en nous appuyant sur le plan de relance. Tout le monde en entreprise a compris qu’il y a un problème, l’enjeu est de faire comprendre que le « juste un peu moins mal » ne suffira pas pour nous guérir. Les entreprises ne doutent pas du pourquoi, elles doutent du comment. L’entreprise est une aventure humaine, collective. Il ne tient qu’à nous de la réorienter. De plus en plus réinterrogent leur utilité et leur raison d’être, jusqu’à se transformer en entreprises à mission – changeant même leurs statuts – ou en entreprises solidaires d’utilité sociale. Se réinventer est possible.
Remettons les curseurs à zéro, non pas celui de nos progrès – souvent proches du zéro pointé – mais celui de nos ambitions.
Contribuer positivement, c’est commencer par atteindre la neutralité, et puis la dépasser. C’est viser le Zéro énergie, le Zéro déchet, le Zéro pesticide, le Zéro carbone, le Zéro chômeur de longue durée, le Zéro artificialisation nette, le Zéro émission : sept fois zéro pour devenir un 007 ou un Zorro. C’est l’heure de la bascule, c’est l’heure de changer d’imaginaires et d’horizons. Osons des horizons simples et radicaux. Acceptons des discussions sur les moyens, mais soyons intransigeants sur les ambitions. Des entreprises peuvent être à l’initiative de coopérations positives entre acteurs privés, avec les collectivités et pouvoirs publics, ainsi qu’avec les citoyens. C’est ce que nous œuvrons à faire chez GreenFlex, avec détermination et humilité : par exemple, lorsque l’on travaille en animant le mouvement EnergieSprong France, aux côtés de 120 autres structures publiques et privées, petites et grandes (dont plus de 90 entreprises) à démocratiser l’accès du plus grand nombre à des rénovations zéro énergie, notamment en logement social. Nous ne sommes qu’une entreprise parmi des centaines d’autres et, on l’espère, parmi bientôt des millions d’autres. Les acteurs des entreprises engagées s’organisent de plus en plus en réseaux hors des cadres institutionnels traditionnels (Collèges des Directeurs du Développement Durable, Mouvements des Employeurs à Vélo Ajoutée, Communauté des Entreprises à Mission, Mouvement Impact France…) et c’est une bonne nouvelle : de nouvelles coopérations s’organisent.
Dépassons nos courtes vues et la tragédie des horizons. Dans cette guerre écologique, viser la neutralité – et au-delà – est un acte de bravoure. Osons changer de trajectoires. Les entreprises ont 10 ans pour devenir contributives, et c’est un projet appétissant. Une autre faim d’un nouveau monde (d’après) est possible. Relançons-nous.
Sébastien Delpont, Directeur d’EnergieSprong France et Directeur Associé de GreenFlex @sdelpont