Selon un rapport de Nations Unies de 2018, l’impact carbone du secteur de la construction au niveau mondial est responsable de 39% des émissions de CO2, réparties pour 28% au cours de l’exploitation du bâtiment, et 11% lors de la fabrication des matériaux. Des matériaux comme la moquette par exemple. Et c’est dans ce secteur qu’Interface, entreprise qui conçoit, fabrique et met sur le marché des dalles de moquette, se trouve. Evidemment, j’avais déjà entendu parler de la démarche non seulement innovante et avant-gardiste mais aussi porteuse de succès commercial, de Ray Anderson, le fondateur d’Interface.
Une légende dans les « business case » des entreprises vertueuses.
Interface n’est pas une de ces sociétés qui se contente de respecter les normes environnementales au cordeau. Ni de celles qui pratique le « giving back », en redistribuant, via une approche philanthropique, les fruits de sa réussite financière. Non. Son fondateur a voulu faire de l’entreprise une référence mondiale de la protection de l’environnement et de la durabilité. En effet, M. Anderson, comprenant les enjeux du model linéaire « j’extrais, je transforme, je jette », a décidé, en 1994, que son entreprise aurait aucune empreinte négative sur l’environnement en 2020 et deviendrait neutre en carbone. Rien que ça. Et il l’a fait – ils l’ont fait. Et ce avant même la fin du délai fixé. Et l’entreprise s’en porte – financièrement y compris – extrêmement bien. On parle bien des années 1990 ! Pour rappel, c’est en septembre 2019 que l’ONU a annoncé, en amont de l’ouverture de son sommet sur le climat[1], que 66 Etats adhéraient désormais à l’objectif d’une neutralité carbone d’ici 2050, ainsi que 10 régions, plus de 100 villes et presque autant d’entreprises. Ray Anderson, lui, s’est concentré sur son initiative « Mission Zéro® », pour viser le « zéro impact » sur l’environnement (zéro émission de CO2, zéro consommation d’eau au cours de la fabrication, zéro déchet, zéro énergies carbonées), en 1994, avec un objectif pour 2020. Et la société ne s’arrête pas en si bon chemin : le prochain objectif est de rendre la société à impact négatif en carbone, c’est à dire qu’elle en séquestrera ou en captera plus qu’elle n’en émettra, via l’initiative « Climate Take Back™ ». Vous avez dit précurseur ?
On est d’accord, Interface occupe une place de choix dans notre liste d’exemples de sociétés inspirantes en route vers l’entreprise contributive, c’est à dire des entreprises qui visent proactivement à produire plus « d’externalités positives » que « d’externalités négatives », et mettent tout en place pour cela, quitte à changer leur modèle d’affaires.
Aujourd’hui, l’expérience d’Interface est précieuse : Laëtitia Boucher, Ambassadrice Développement Durable d’Interface en France, a bien voulu la partager. Comme le rappelle Laëtitia, qui nous résume cette aventure hors du commun, Ray Anderson n’y connaissait initialement rien au développement durable. L’histoire veut que le « déclencheur » ait été un speech qu’il devait donner en interne pour répondre aux interrogations de certains clients sur les actions d’Interface sur le front de l’environnement. D’après ce que Ray Anderson a raconté, c’est en lisant, sur les conseils d’un collaborateur, le livre de Paul Hawken[2], The Ecology of Commerce: A Declaration of Sustainability, qu’il a eu ce qu’il a lui-même appelé « une épiphanie » : d’une entreprise intégralement dépendante du pétrole, il donc a décidé de faire une entreprise à empreinte nulle. Et si lui pouvait le faire, avec une industrie traditionnellement (très) dépendante des produits pétroliers – fibres, colles, sous-couche, etc. – d’autres pouvaient s’en inspirer. Etre un « passeur » était bien dans l’intention initiale de Ray Anderson : pour raconter sa conversion et celle de son entreprise, et inspirer des vocations, Ray Anderson a lui-même écrit un ouvrage : Confession from a Radical Industrialist, non traduit malheureusement. Mais l’histoire, Laëtitia, pour notre plus grande joie, a accepté de nous la raconter. C’est celle d’un homme d’affaires qui a visé la neutralité carbone alors que personne ne montrait la voie, et sans faire aucun compromis sur le profit de l’entreprise. Faire du profit sans avoir d’impact : c’est un véritable changement de paradigme qu’il a entrepris, ce qui était complètement fou à l’époque, parce que rien ni personne ne mettait sur les entreprises de pression liée au CO2, qu’elle soit financière, juridique ou d’image. Et pourtant, en changeant de « logique business » d’Interface, il a su embarqué tous ses collaborateurs, ses fournisseurs et surtout ses clients.
Ne nous méprenons pas : comme le rappelle Laëtitia, nous n’avons pas un profil de doux rêveur ni un échappé de Woodstock. Ray Anderson aime le business et la compétition.
Il a eu comme on l’a vu non seulement une révélation mais surtout la formidable intuition de se dire que de « retourner » son business à l’heure où ça n’était pas encore la priorité de ses clients serait, un jour, un atout incontestable – et, de par son avance sur le sujet, incontesté. Quand le chiffre d’affaires d’Interface atteignait le milliard de dollar, et était parfaitement rentable, il a choisi de tout remettre en question : approvisionnement, conception, fabrication, tout, sans pour autant sacrifier ses profits. Comme dans toutes les histoires d’entreprises contributives, évidemment, ce n’est pas si simple. Embarquer ses collaborateurs, convaincre ses investisseurs, et surtout, à l’époque, avec peu ou pas d’exemples vers lesquels se tourner : savoir comment faire – tout était nouveau, il fallait tracer un chemin jamais encore emprunté, ni dans ce secteur précisément de la fabrication des matériaux pour le bâtiment, ni dans aucun autre secteur d’ailleurs. Dès lors, la question « comment ont-ils fait ? » s’impose.
Un but sans méthode étant un non-sens. Il fallait donc créer une méthode. Ray Anderson l’a créé tout en avançant sur le sujet.
La méthode Interface est basée sur 7 piliers de ce qu’il a appelé l’ascension des 7 faces du Mont Durabilité[3] :
- Zéro déchet ;
- Limitation au minimum des émissions de GES et autres polluants – sachant que réduire ce qui se passait à la « sortie » impose de revoir intégralement ce qui se passe dans les « entrées » ;
- Recours aux énergies renouvelables ;
- Recyclage en boucle fermée ;
- Compensation pour les émissions résiduelles ;
- Le travail du lien – avec la communauté, via l’éducation, avec les fournisseurs, les clients et au sein même de l’entreprise ;
- Ainsi que la refonte du commerce lui-même, qui repose notamment sur l’acceptation d’un prix reflétant la totalité des coûts – un prix écologiquement honnête.
Dans sa méthode, Ray Anderson décrit également les connexions entre ces fameuses « 7 faces » avec l’utilisation des énergies renouvelables, les transports et la logistique, le lien avec les fournisseurs, le service etc.
Une industrie sans pétrole ni déchet ni pollution. Une utopie ?
Cette vision, déclinée en objectifs concrets dans tous les départements et à tous les niveaux de l’entreprise, a rapidement embarqué tout le monde, y compris les clients. Alors que dans sa première décennie de transformation Interface avait déjà réussi à diminuer ses émissions de GES de quelques 70%, ses ventes augmentaient presque d’autant, et ses profits doublaient. Précisons que « monitorer » d’aussi près le carbone impose de s’inspirer des méthodes d’amélioration continue très strictes. Celles-ci, en parallèle de générer évidemment des gains en émissions de GES, via la quantité de matière et d’énergie économisées, entrainent aussi la diminution des déchets et des pollutions – et donc des coûts de rebuts, de mise en décharge et de traitement. Et très concrètement, l’amélioration continue permet bien sûr de proposer de meilleurs produits, de faire moins d’erreurs notamment sur la production et la livraison, permettant d’économiser sur les matières, la logistique et le carburant… le tout améliorant au final la satisfaction client. Ainsi, Interface, en réalisant des millions de dollars d’économies, a doublé ses profits en 10 ans. Cette course contre le CO2 a été bénéfique à de nombreux titres : image, marque employeur, qualité des produits et attention des clients. Ray Anderson réalise non seulement du profit, mais surtout des profits – pour l’environnement, ses collaborateurs, la société civile.
Ray Anderson n’a pas fait cela tout seul, bien au contraire. Patron visionnaire, il fait redescendre à son équipe exécutive sa vision pour les charger de trouver des solutions en faisant participer les salariés.
Il a lancé un programme de formation pour faire ressortir l’individualité au sein des groupes. Et en est ressorti le programme QUEST – Quality Using Employee Suggestion and Team work. Il s’agit d’intégrer les salariés sur le terrain dans cette mission zéro® et que chacun à son niveau essaie d’agir et d’améliorer le processus. Intégrer l’énergie des salariés en reconnaissant leurs qualités intrinsèques, utiliser la force de tous les individus pour tendre plus vite et plus efficacement un objectif commun, a sans doute été la clé du succès d’Interface. Pour conduire le changement, Ray Anderson n’a rien laissé au hasard. Pour apporter le changement il a appliqué des préceptes comparables à ceux théorisés par Kotter[4] dans « les 8 étapes du changement » :
- Créer l’urgence, qui agit comme un déclencheur ;
- Former une coalition – et là Anderson a pu s’appuyer sur ses équipes puis sur ses fournisseurs et clients ;
- Créer une vision de l’état futur – vision incroyablement claire pour Ray Anderson, c’est bien le sens de l’épiphanie…
- … et communiquer la vision – pour une vision rapidement partagée ;
- Inciter à l’action en faisant tomber les obstacles, une réussite en entrainant une autre…
- … Générer des victoires à court terme
- Consolider les succès pour accélérer le changement
Et – plus de retour en arrière – ancrer le tout dans la culture d’entreprise.
Pour démontrer la réussite, il fallait mettre en avant d’autres façons de comptabiliser les résultats.
Mais tout n’a pas été comme sur des roulettes pour autant, évidemment. Laëtitia rappelle que cette annonce de devenir neutre en carbone, immédiatement rendue publique, a représenté un gros risque. Mais ses collaborateurs allaient rapidement devenir ses meilleurs avocats. S’appuyer sur l’engagement des collaborateurs mais aussi sur les succès a permis de gagner l’adhésion des membres de l’exécutif puis du Comex et finalement des actionnaires. A ce stade évidemment, on se devait d’être concrets pour poser les jalons et avancer. Des éco-métriques ont été créées pour mesurer et attester des progrès réalisés. Encore fallait-il transformer quelque peu les façons de compter : l’énergie consommée a notamment été traduite en pertes. Dès lors, lorsque les équipes ont pu démontrer que les pertes étaient énormes lors de la production, l’attention s’est concentrée à les réduire. L’investissement dans de nouveaux équipements a ainsi permis de réduire à la fois les consommations en énergie, et les chutes de moquettes, donc la matière utilisée. L’entreprise s’est notamment doté d’une machine à ultrason pour la découpe de ses dalles afin de réduire les chutes à quelques millimètres, ce qui permet de réinjecter les déchets dans le cycle de fabrication – jusque-là cette technologie était réservée à la découpe de pièces d’aéronef pour la NASA. Et consécutivement, on a agi sur les déchets. Le plus important, comme on le comprend, a été de redéfinir les métriques et de mieux comptabiliser les « pertes ».
Intégrer toutes les composantes du business dans le calcul du CO2 a été une ambition inédite.
Pour atteindre ses objectif, Interface a très rapidement choisi de mesurer ses progrès via l’ACV des produits (de l’extraction de la matière première à la fin de vie) afin de déterminer les points où l’impact environnemental était le plus élevé sur la chaîne de valeur. La matière première, la fabrication, le transport, la maintenance et la fin de vie des produits ont donc concentré les efforts en matière de réduction d’impact et donc d’innovations. Si l’entreprise a été rapidement particulièrement efficace sur le sujet de l’économie circulaire dans son processus de fabrication, depuis l’utilisation de matières recyclées dans la sous-couche de dalle jusqu’à la fibre recyclée qui a vu le jour en 2010, d’autres enjeux ont rapidement émergé. Pour précision, une dalle de moquette émet en moyenne 7 kg de CO2 par m2 (Cradle-to-Gate). Au-delà de s’attaquer au « produit », il fallait aussi toucher au « bâtiment » et plus généralement à tous les processus et outils de production.
Faire du business autrement pour atteindre la neutralité carbone impose l’innovation permanente – mais pas n’importe quelle innovation : une innovation inspirée de la nature.
Laëtitia rappelle à ce stade de la discussion que l’innovation est partout, dans le processus mais aussi dans la conception et dans le design, le tout étant intimement lié. Chez Interface les R&D et le développement durable sont réunis sous un seul et même service, celui de la « Co-innovation », afin d’assurer la synergie des ressources et des savoirs faire. Ainsi l’innovation n’est pas développée et créée dans un but de rentabilité ou d’économie de marché, mais pour servir les objectifs de développement durable fixés par l’entreprise. Ce sont donc les objectifs définis pour la Mission Zéro®, aucune empreinte négative sur l’environnement (déchets, émissions, utilisations d’énergies vertes…) et aujourd’hui ceux de Climate Take Back™, visant à être une entreprise « restaurative » de climat en absorbant plus de CO2 qu’elle n’en émet, qui ont conduits, conduisent et conduiront l’innovation au sein de l’entreprise et de ses partenaires. L’entreprise innove sur le sourcing des matériaux : à l’origine, les composants d’une dalle de moquette sont issus, pour la plupart, du pétrole (fibre, latex, bitume…). Interface ne pouvait atteindre ses objectifs sans l’engagement de ses fournisseurs. Si certains grands fournisseurs historiques de la marque n’ont pas su suivre la vision de Ray Anderson, des acteurs alternatifs ont su s’imposer.
Certains fournisseurs ont été particulièrement moteurs en termes d’innovation pour accompagner la démarche d’Interface.
Laëtitia cite Aquafil, qui a su faire preuve d’une véritable proactivité suite à la demande de Ray Anderson – et a réussi à fabriquer et proposer de la fibre recyclée (à partir de filet de pêches) ou biosourcée. D’autres ont proposé des fibres fabriquées à partir de filets de pêche recyclés, de graines de ricin ou encore de biomasse. Et pour la nouvelle sous-couche, Interface a pu s’appuyer sur des fournisseurs de matériaux recyclés et biosourcés pour remplacer le bitume, ce qui permet d’offrir une sous-couche à empreinte carbone négative. Revoir ainsi le sourcing des matériaux a donc fait fortement bouger les lignes du côté des fournisseurs – mais a également obligé les ingénieurs d’interface à innover pour intégrer ces produits ! Et Interface innove jusqu’à la manière de commercer avec les clients, avec des offres longues durée, une récupération des matériaux usagers et un volet conseil important. Depuis les matières premières jusqu’à la récupération auprès des clients, Interface fait bouger tout un secteur, vers une industrie globalement mieux-disante. On peut dire aujourd’hui que ses concurrents sont poussés à suivre un tel modèle économique.
Avant tout, Ray Anderson a été particulièrement avant-gardiste : ayant compris que le design était à la source de l’empreinte carbone de ses produits, il s’est intéressé au biomimétisme.
Prendre la nature comme exemple a été l’évidence sous-tendant la plupart des innovations de l’entreprises – y compris les économies réalisées, puisque dans la nature, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout est 100% optimisé. La conception des dalles a donc été revue depuis le design, en intégrant l’éco-conception et surtout des designs inspirés du vivant, basés sur des motifs aléatoires – comme un tapis de feuilles dans les sous-bois. Le design à motif aléatoire en effet permet de ne plus avoir à stocker de nombreux m2 de couleurs assorties en prévision d’accidents et usures éventuelles. Pour travailler ce sujet en profondeur, M. Anderson a intégré à l’équipe, Janine Benyus, scientifique américaine, consultante en innovation – mais pas n’importe laquelle ! – celle qui vise une production à faible impact environnemental s’inspirant du vivant. J’ai vérifié : Janine Benyus est en effet une ponte du biomimétisme[5] : dans l’un de ses ouvrages Biomimicry: Innovation Inspired by Nature, elle explique pourquoi et comment l’humain doit s’inspirer de la nature dans la conception des objets et des systèmes. Elle est l’une des fondatrices de la Guilde du Biomimétisme, ou Biomimecry 3.8[6] – il s’agit de faire bénéficier à l’entreprise des « 3,8 milliards d’années de technologie adaptative » de la nature, et ainsi aider les entreprises à concevoir des produits et des processus durables qui créent des conditions propices à toutes les formes de vie – comme le fait la nature. Elle a par la suite créé l’Institut de Biomimétique[7] avec Dayna Baumeister et Bryony Schwan, avec comme mission de promouvoir la biomimétique dans la culture. Sous son égide, Interface a pu développer des produits moins impactants en repensant par exemple le design des produits, ce qui a permis de réduire de moitié les déchets lors de la pose. Ou encore un système pour solidariser les dalles entre elles sans aucune colle, appelé Tac-Tile, et inspiré des pattes adhérentes du gecko – ce petit lézard capable de marcher au plafond, preuve d’une adhérence à toute épreuve. Ce procédé a pour bénéfice de réduire de 90% l’impact environnemental comparativement aux adhésifs traditionnels. Toujours dans l’idée d’imiter la nature, Interface a créé un prototype de dalle dans laquelle du Co² a été séquestré via ses composants biosourcés, avec un lancement prévu en 2020, qui permettra à terme de proposer des produits à émissions négatives – pour rappel, aujourd’hui 1 m² de moquette émet lors de sa fabrication en moyenne 7 kg de CO2 (Cradle to Gate), et avec ce prototype, Interface vise -2kg de CO² /m². Absorber du CO2 en produisant de la moquette, du jamais vu !
S’inspirer de la nature est pertinent – d’un point de vue business aussi.
L’approche d’Interface a en effet fait prendre de l’avance à l’entreprise, notamment avec les labels qui deviennent des critères d’obtention de marché. Interface y gagne financièrement, et les clients aussi, avec des matériaux de meilleure qualité, plus durables, permettant de réaliser des économies directes. En 2017, avec l’approche de l’atteinte des objectifs de Mission Zéro®, Interface s’est posé la question « Et après ? ». L’entreprise a fait de nouveau appel à son « eco dream team » dont Paul Hawken et Janine Benyus, pour lancer une nouvelle mission : Climate Take Back™, où l’entreprise ambitionne de devenir restauratrice de climat et par conséquent avoir une empreinte carbone négative d’ici 2040. L’objectif de cette mission est d’aider la nature à se réguler, vivre « le zéro empreinte », utiliser le CO² comme une matière première, et enfin montrer le chemin et aider les industriels à suivre Interface.
Une des ambitions de l’entreprise : faire fonctionner les usines comme des forêts.
Être capable d’imiter l’écosystème environnant les sites de production pour arriver aux mêmes résultats que la nature : aujourd’hui les technologies existantes permettent de capter et séquestrer du CO², ou encore de purifier l’eau, mais dans un avenir proche peut-être réussirons-nous à créer de l’oxygène… Le sujet porte, et les clients montrent de plus en plus d’intérêt pour ces offres alternatives : les appels d’offre affluent, attestant de l’intérêt indéniable des entreprises qui souhaitent s’orienter vers des produits réemployables et plus durables. Evidemment, les clients sont intéressés par le fait de bénéficier dans leur propre rapport RSE de l’approche vertueuse d’Interface en général – et sa neutralité carbone en particulier. Mais Laëtitia rappelle également que le sujet de l’achat de qualité et de longue durée n’est pas encore une évidence pour les acheteurs : à Interface de faire preuve de pédagogie notamment sur les sujets de qualité, de durée de vie des produits et environnementaux – en expliquant notamment quels sont les enjeux, en quoi Interface contribue à y répondre, et surtout comment. Et, espérons-le, à Interface de contribuer à affaiblir par là même des effets annonces qui peuvent quelque peu sentir le greenwashing chez d’autres marques, que ce soit dans le secteur des revêtements de sol ou ailleurs ! Un consommateur, qu’il soit B2B ou B2C averti en vaut deux…
Interface ne propose rien de moins qu’une toute autre façon de commercer.
Comme le rappelle Laëtitia, l’entreprise a contribué à créer une nouvelle dynamique et un nouvel écosystème. Interface a non seulement redessiné l’industrie du sol en poussant ses confrères à être plus vertueux pour pouvoir être compétitifs, tout en obligeant toutes ses parties prenantes, y compris ses actionnaires, à adhérer à sa politique environnementale. Par ailleurs, Interface a développé des systèmes d’économies circulaires et inclusives à travers le monde, notamment avec son programme Net-Works™[8] qui a permis de créer un tissus économique local auprès des communautés de pêcheurs aux Philippines, au Cameroun et en Indonésie. Les pêcheurs récupèrent des filets de pêche usagers, dépolluent les océans et bénéficient ainsi d’un revenu complémentaire. Plus localement, le programme de valorisation de moquettes usagées permet de créer des emplois et du savoir-faire via son partenariat avec Arès, qui propose une réinsertion professionnelle à des personnes en difficulté. Interface participe également à différents « cercles » multi-partie prenantes afin de trouver ensemble des solutions en économie circulaire. L’entreprise est notamment membre de Circolab[9], une association créée à l’initiative de plusieurs maîtres d’ouvrages dont plusieurs assureurs. Conscients de leur rôle dans le réchauffement climatique, ces acteurs du secteur de la construction et de l’immobilier se mobilisent pour promouvoir l’économie circulaire. Pour Interface, l’enjeu est de communiquer et sensibiliser ses utilisateurs sur les possibilités de traitement de ses produits en fin de vie, afin d’éviter la mise en décharge en favorisant le réemploi et le recyclage.
Au niveau International, l’entreprise est un membre actif au côté de plusieurs multinationales de NextWave Plastics[10]. L’organisation vise à trouver des solutions conjointes pour conserver les plastiques dans l’économie et non dans les océans.
Evidemment, la réussite d’un tels projets s’étale sur des années. C’est un travail sur le long terme qui demande leadership et objectifs ambitieux.
Interface est souvent interrogé par les grands groupes à la recherche de source d’inspiration. Certains, fortement bousculés sur leur secteur, envisagent d’atteindre la neutralité en quelques années. Mais, comme le souligne Laëtitia, la clé du succès est certainement plus à chercher dans la mutation culturelle et la volonté de décrocher la lune que dans les investissements financiers – même si ceux-ci sont indéniablement lourds. Pour Interface néanmoins, grâce à l’approche visionnaire de Ray Anderson – par définition ayant eu lieu en avance par rapport à tous les autres acteurs – ces investissements ont pu être étalés sur 25 ans, et surtout, ils ont pu être rapidement rentabilisés, par l’optimisation des procédures et les économies de matière et d’énergie. Mais cette réussite aurait été impossible sans l’investissement humain qui a permis de repérer les points cruciaux, susceptibles de faire levier pour améliorer les performances environnementale et financières de l’entreprise ; c’est à dire d’avoir un effet maximum avec un investissement minimum.
Tout cela n’aurait pas été possible sans… une autre vision du management.
Ray Anderson, personnage emblématique, a réussi à intégrer le développement durable dans l’ADN de son entreprise à tous les niveaux en impliquant les actionnaires, les membres du comité exécutif, les managers et tous les salariés. En lançant le programme de formation QUEST (quality using employees suggestions and teamwork), il a encouragé les salariés à être force de proposition pour chercher et trouver des solutions innovantes. Au départ l’objectif était d’optimiser le fonctionnement de l’entreprise à tous les niveaux pour réduire les déchets et éviter le gaspillage, tout en encourageant l’engagement des salariés dans le changement. 25 ans plus tard, l’entreprise organise toujours des programmes de formation RSE réguliers auprès de tous les salariés. Pour ceux qui souhaitent s’impliquer, il est possible d’intégrer un programme d’ambassadeur Développement Durable, basé sur le volontariat, et qui implique la mise en place d’un projet de développement durable au sein de l’entreprise. La vision de Ray, à présent intégrée à toute les échelles de l’entreprise, se nourrit des succès des équipes.
Et d’autres actions prennent corps sous l’impulsion des salariés : les succès passés entrainent une grande confiance, chacun à son niveau, et une envie d’agir en tant qu’individu au sein du groupe. L’action et les succès ont été de très forts moteurs de fierté. Ray Anderson, disparu en 2011, était fier de ses équipes, et aujourd’hui, il aurait été encore plus fier de voir qu’elles portent le sujet toujours plus loin. En route vers l’entreprise à mission ! Chez Interface et ailleurs : forcément, on se dit que si Interface l’a fait, dans un secteur particulièrement dépendant des énergies fossiles, d’autres peuvent le faire aussi… Et parce qu’Interface partage, voici le « Des Leçons pour l’Avenir« , le guide d’Interface pour changer votre entreprise et aider la planète…
Interview de Céline Puff Ardichvili (et un grand merci Laëtitia pour avoir partagé cette histoire et pour ta patience de relecture !)
[1] Rappel via l’ONU https://www.un.org/fr/climatechange/
[2] Paul Hawken est un entrepreneur qui a écrit plusieurs ouvrages sur la transformation du capitalisme vers plus de justice et d’équité à la fois sociale et environnementale, dont l’un des derniers, Drawdown, comment inverser le cours du réchauffement planétaire, propose des solutions concrètes, avec l’appuis de scientifiques et à la portée des entreprises. Il est également l’un des instigateurs du mouvement OuiShare. Bon sang il faut que je lise du Paul Hawken, je savais qu’il y avait des lacunes dans ma bibliothèque « développement durable », entre Alain Grandjean et Bruno Latour.
[3] Comme très bien décrit ici https://www.raycandersonfoundation.org/assets/pdfs/rayslife/EssayClimbingMountSustanability.pdf
[4] La théorie de Kotter est sortie en 96, les grands esprits (inspirés) se rencontrent
[5] Page pub : pour une autre ponte du biomimétisme, française cette fois, je vous invite à lire également le témoignage de Kalina Raskin, fondatrice du Ceebios, dans les pages du blog de l’Entreprise Contributive https://entreprisecontributive.blog/2019/09/01/le-vivant-comme-nouvelle-reference-de-developpement-par-kalina-raskin-ceebios/
[7] https://biomimicry.org pour tout savoir sur le biomimétisme sans avoir jamais osé le demander.
[9] circolab.eu