Nous sommes à la croisée des chemins. La vision de l’entreprise inspirée des philosophies libérales des années 60-70, qui peut être grossièrement résumée par la fameuse phrase de Milton Friedman « La responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits », est en passe d’être remplacée par une vision élargie, qui au-delà du profit, recherche une création plus globale, multi-dimensionnelle (économique, sociale, environnementale, territoriale, …) et multi-partite de valeur.
Du côté de la consommation, qu’observe-t-on ?
Surperformance des produits et des marques ayant une plus-value environnementale et/ou sociale (bio, équitable, local, etc.) ; nouveaux modes de consommation tournés vers l’usage plutôt que la propriété ; encensement ou boycott rapide via une mobilisation des réseaux sociaux autour des enjeux de responsabilité…. De plus en plus exigeant, le consommateur a aujourd’hui les armes pour s’informer avant d’acheter et faire savoir lorsqu’il est mécontent. Connecté et méfiant envers les marques, il utilise une application mobile pour comparer les produits, écoute l’avis de ses proches et veut savoir ce qu’il se passe « derrière le produit » : comment et avec quoi a-t-il été fabriqué ? Quels sont les impacts potentiels sur ma santé ? Les marques portent-elles des valeurs qui me parlent ? Sont-elles sincères dans leurs engagements et cohérentes dans leurs actions ? Le panier du consommateur est devenu un bulletin de vote au quotidien !
Ainsi le sort des marques évolue tout comme celui des entreprises. Celles qui ne seront pas capables de construire un modèle durable basé sur une responsabilité élargie, une création de valeur étendue et une logique de preuve seront progressivement délaissées. La marque de demain sera durable… ou ne sera pas ! Et un « relooking » de la communication n’y suffira pas : seul un véritable projet de transformation permettra aux marques de dégager un avantage compétitif, de reconstruire la confiance du consommateur et de l’investisseur, et de redonner un sens et une légitimité sociale au projet d’entreprise.
Construire une marque durable nécessite de travailler sur quatre grands axes : s’engager autour de réponses positives aux défis de notre société, proposer des produits et services responsables et durables, impliquer ses clients dans le dialogue et dans l’action, enfin faire preuve de sincérité et de transparence.
Une marque engagée
La marque durable est engagée à réduire ses impacts négatifs et à apporter des réponses adaptées aux défis de notre société, que les Nations Unies ont regroupés en 17 Objectifs de Développement Durable. La cohérence entre la vocation de l’entreprise, ces engagements de marque et la nature des produits est clé ! Unilever a choisi de s’engager sur des solutions pour un mode de vie durable grâce à ses produits du quotidien… et ça marche. Aujourd’hui, sur les 400 marques détenues par le groupe, celui-ci déclare que 70% de la croissance provient des 26 marques engagées. Dans un autre style Starbucks, dont la vocation est de développer des lieux de convivialité et de diversité, s’est engagé à recruter 10 000 réfugiés sur les 5 prochaines années en réponse aux vagues de migrations involontaires et à la politique protectionniste américaine.
Une marque qui propose une offre responsable, durable… et désirable
Le salut des marques passera par l’intégration de critères environnementaux, sociaux et sociétaux dès la conception des produits tout en rendant le durable désirable. Du fait de l’évolution –certes lente mais désormais avérée- de la consommation, ces produits ne sont désormais plus destinés à rester confinés dans des marchés de niche mais répondent, lorsqu’ils sont effectivement durables et désirables, à une tendance mainstream… et c’est bien là le véritable changement. Aujourd’hui, les entreprises leaders ont déjà entamé la transformation de leur portefeuille d’offres en recherchant la manière la plus efficace de mesurer cette durabilité environnementale et sociale puis en intégrant ces nouvelles métriques dans les process et les outils habituels, pour certains jusqu’aux argumentaires de vente afin d’en tirer une différenciation positive auprès du consommateur.
Une marque qui engage ses consommateurs et ses parties prenantes
La marque qui parviendra à se différencier par sa durabilité devra aussi réussir à construire un dialogue véritable avec ses consommateurs, et plus largement son écosystème pour, in fine, créer de l’adhésion grâce à un discours plus direct et plus sincère. La logique « top – down » de la communication corporate traditionnelle est aujourd’hui obsolète. Patagonia a par exemple réussi à transformer son consommateur en véritable prescripteur de la marque en l’invitant à écrire leur histoire commune et leur propre expérience d’usage des produits, parfois transmis de génération en génération. De son côté « C’est qui le patron – la marque des consommateurs » explique la formation des prix de ses produits, donne aux consommateurs la possibilité de choisir les produits à développer et de définir eux-mêmes les cahiers des charges.
Une marque sincère sur ses pratiques et ses impacts
Investisseurs, législateurs, ONG, consommateurs et pouvoirs publics sont en demande de transparence. Une information sincère, facile d’accès et compréhensible ne relèvera bientôt plus de « l’excellence responsable » mais bien d’un must pour les marques. Si les défis étaient avant tout technologiques, les solutions sont aujourd’hui à la portée des marques : plateformes de traçabilité, QR codes sur le produit, applications mobiles dédiées… Si l’exercice n’est pas dénué de risques et peut être contraire à une culture d’entreprise peu encline à dévoiler son « arrière-boutique », ce sera bientôt un passage obligé pour reconquérir et conserver la confiance.
Une opportunité à saisir aujourd’hui pour ne pas sortir du marché demain
Les signaux faibles que l’on observait depuis longtemps dans l’évolution des attentes et pratiques des consommateurs se cristallisent actuellement. Il y a aujourd’hui pour les marques une formidable opportunité à saisir en touchant une majorité de consommateurs (et non plus une minorité) avec des attributs de marque durable et responsable. Les sous-jacents de la « marque durable » ne vont pas disparaître, au contraire. De ce fait, les entreprises qui ne se préparent pas à mettre sur le marché des produits positivement responsables seront progressivement mises hors marché… dans moins de 10 ans. Cela prendra certes aux entreprises plusieurs années pour rendre leurs marques plus engagées, plus engageantes, plus transparentes et innover pour redéfinir leur offre selon des critères de durabilité. … mais c’est maintenant que les places se prennent !
Eric Mugnier est Associé Ernst & Young, et dirige le Département Performance & Transformation durables