Dotons les entreprises d’une personnalité éthique. Par Jérôme Cohen, Engage.

Lors d’un atelier que j’animais dernièrement, traitant des grands défis du siècle à venir, une femme est sortie, visiblement émue, me donnant l’impression de mal respirer. Je l’invitais à revenir lorsqu’elle se sentirait mieux.

Ce qu’elle fit quelques minutes plus tard. Elle prit la parole dans la foulée, en s’excusant. ‘Ce que vous nous présentez sur le climat, la biodiversité, les questions éthiques, me renvoie à mes interrogations fondamentales, sur le sens de mon action au quotidien, sur ma contribution au sein de mon entreprise et de la société. Ces questions, enfouies, se sont réveillées. J’ai eu l’impression d’étouffer, de ne plus savoir qui j’étais.’

Injonctions paradoxales, impossible réconciliation de valeurs personnelles et corporate, perte de sens : ce malaise, particulièrement violent et émouvant, révélait cette dissonance de plus en plus forte que ressentent nombre de collaborateurs. La discussion qui s’en suivit, totalement transparente avec les autres managers de son groupe, s’articula autour du pouvoir réel ou fantasmé de changer les choses de l’intérieur et de s’épanouir dans ses responsabilités.

Et, de fait, les entreprises commencent à bouger. Comment pourraient-elles rester immobiles lorsque de plus en plus de collaborateurs, de clients, et même de financiers, menaçant de les quitter, les empressent de se transformer ?

Cette expérience, marquante, est tout sauf anecdotique. Alors que la prise de conscience des individus est grandissante, sur les questions environnementales, le devenir du vivant, la place de l’Homme et son impact, la tension au sein des entreprises ne fait que croître.

Une nouvelle et salutaire injonction qui revient finalement à leur demander de redéfinir leur rôle dans la cité et leur rapport au bien commun*. Simple alors ? La transformation est en route ? Les choses sont évidemment complexes, car des évolutions majeures sont nécessaires :

  • Instiller à tous les niveaux hiérarchiques des nouveaux modes de management et de leadership qui s’appuient sur des passeurs, ‘émancipés’ et en cohérence avec eux-mêmes, et non plus sur des collaborateurs contraints par leurs fonctions.
  • Changer ses modes de gouvernance en inscrivant l’entreprise dans la Cité et signer un pacte d’alliance sincère et durable avec les autres acteurs organisés de la société civile et les citoyens.
  • Placer l’éthique au cœur de sa stratégie de long terme. Elle est, à terme, la condition d’une performance économique qui ne doit plus constituer sa seule priorité.
  • Définir de nouveaux indicateurs de performance pour mesurer toutes les externalités : impact sur la Terre, le vivant, la santé…

Le chantier est vaste, car il nécessite de repenser fondamentalement notre modèle, et de ne pas se contenter de petites retouches impressionnistes. Alors par où commencer ?

Par les collaborateurs, probablement, car même si l’engagement de la gouvernance est fondamental, rien ne se fera sans eux et encore moins contre eux.

Il s’agit de faciliter tout d’abord une meilleure compréhension des enjeux contemporains en faisant de l’entreprise un lieu d’apprentissage ouvert sur le monde puis d’apporter méthodes et outils pour faciliter l’appropriation et l’application des connaissances.

Il s’agit ensuite de définir collectivement les principes éthiques de l’organisation puis de les appliquer et de prioriser les activités réellement créatrices d’externalités positives.

Un travail d’information, de formation et de mise en action donc.

Sommes-nous sur le bon chemin ? Il est bien trop tôt pour le dire.

Un dirigeant me confiait récemment que son entreprise était en train de se transformer en quelques mois car de plus en plus de ses collaborateurs s’autorisaient à dire non en réunion et à proposer des voies alternatives.

Il semble que le bouleversement visible des mentalités transforme nombre de salariés en psychotropes positivement corrupteurs. Il est alors peut-être possible de rêver à un changement que nous désespérions de voir émerger il y a seulement un an.

Notre défi ? Aider les entreprises à se doter d’une véritable ‘personnalité éthique’**, définie et incarnée collectivement, et les repenser comme un outil au service de l’homme et du vivant, ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être.

Est-ce un pari si traumatisant ?

Jérôme Cohen
Fondateur d’ENGAGE

*Lire le livre ‘Entreprise et bien commun : la performance et la vertu’ de Pierre-Etienne Franc et Michel Calef, aux éditions du Palio

**L’objet social des entreprises est défini par les articles 1832 et 1833 du code civil

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