La décroissance, c’est bien joli, mais quid des entreprises ? Une question légitime de Céline (et la vôtre aussi, avouez), des pistes de réponse par Timothée Parrique.

La décroissance, on en parle ou pas ? Visiblement, ce mot fait peur. Au vu des réactions épidermiques déclenchées par la seule évocation de ce mot, sur les réseaux sociaux notamment, on peut se demander qui a peur du grand méchant décroissant. Et pourtant, cette discussion vaut la peine qu’on l’ait. N’est-on pas en ce moment-même en décroissance subie ? Peut-il exister-t-il une décroissance choisie ? Et diantre, pourquoi donc ?

Bon pote vs Tim Parrique : le bon match

Bon Pote, alias Thomas Wagner, après avoir décrypté pour les néophytes curieux que nous sommes, la thèse de Timothée Parrique sur son site, a décidé d’inviter le docteur en économie pour avoir, avec lui et les auditeurs, cette discussion à bâtons rompus. Le 12 mars dernier, je rejoignais donc quelques dizaines ou plus de personnes de tous horizons en visio pour entendre ce spécialiste de la décroissance. Le postulat de départ de Tim Parrique est tellement plein de bon sens qu’il en est presque décevant : il explique que, selon lui, il faut investir dans la diversité de nos idées. Jusque-là, rien de bien subversif. Et il propose de diversifier notre boite à outils économique. Comme ça, explique-t-il, quand on a un problème, on a, à notre disposition, différents outils. Parce que, on peut toujours essayer de regonfler un pneu de vélo avec un marteau, mais bon.

Les questions qui tuent en direct live

Timothée Parrique aime bien la métaphore des vélos. Et il ne refuse aucune question de Thomas Wagner, toutes pertinentes évidemment. Au moment de donner la parole au public, une certaine question autour du lien – ou de la difficulté de lier – capitalisme et décroissance, ont particulièrement retenu mon attention. Nous sommes dans un éco système capitaliste, et il va falloir faire avec. Mais évidemment, une simple observation tend à démontrer qu’il y a une vilaine corrélation entre la mobilisation du capital et les pressions environnementales. Alors, que faire ? Surtout quand on soutient qu’une entreprise peut devenir contributive ? Je me suis permise de demander, dans le chat de l’interview (très pratique), comment il serait possible de s’adapter, quand on est une entreprise – et pourquoi pas une entreprise du CAC40, a précisé Thomas Wagner, qui enfonce le clou – dans un système capitaliste si l’on souhaite tendre vers la décroissance ?

Timothée Parrique explique, que, dans sa thèse (ok, je ne l’ai pas lue), il propose aux entreprises 3 changements. Voici les verbatims de sa réponse, retranscrits de la manière la plus fidèle possible.

Dis moi combien tu gagnes, je te dirai qui tu es

1/ L’un des paramètres à changer est leur relation avec le profit. On peut imaginer qu’une économie dans laquelle toutes les entreprises à but lucratif qui ont dans leur raison d être ont la maximisation du profit dans leur raison d’être comme statut légal, macroéconomiquement, on a une croissance. On a un problème. Question hypothétique : qu’est ce qui se passerait si l’on avait uniquement des coopératives de type ESS ou des buts lucratifs limités, c’est-à-dire des acteurs économique dont, légalement, une partie des profits doivent être réinvestis soit dans une fondation soit dans l’entreprise soit dans les parts des travailleur ou activité même de l’entreprise ? On aboutirait théoriquement à une économie qui resterait à l’état stationnaire, où chaque entreprise utiliserait son profit pour satisfaire une raison d’être qui serait légalement la sienne, une raison d’être concrète. Par exemple, « ma raison d’être, c’est de construire des vélos, ma raison d’être, c’est de construire des routes, satisfaire un besoin particulier etc ». On retombe sur une L’hypothèse centrale de la décroissance : si l’on organise l’activité économique sur les besoins, des besoins qui sont finis et qui ont des seuils de suffisance – si j’ai besoin de me déplacer en vélo, alors j’ai besoin d’un vélo, pas d’un taux de croissance de 3 % dans la production de vélos – alors on aura une activité économique limitée en fonction des besoins. Alors que : si l’on se focalise sur des objectifs abstraits, quantitatifs et monétaires, on ouvre la porte à une croissance sans fin. Premier aspect donc : une entreprise à but lucratif limité. En anglais : not for profit company.

La taille, ça compte

2/ Deuxième aspect : avoir entreprises plus petites. Quand on parle des entreprises du CAC40, il va falloir discuter de la taille optimale d’une entreprise. Cela fait partie de mon postdoc d’essayer de se poser la question : « y a-t-il une taille optimale quand on parle l’innovation ? ». Ce n’est pas un sujet étudié uniquement par les économistes néo classiques, c’est aussi une grande question pour les décroissants : quelle est la taille optimale d’une organisation productive pour résoudre ses problèmes ? Est-ce que de temps en temps on atteint des seuils contre productifs ? On parle des administrations publiques mais c’est la même chose dans les entreprises privée : à partir d’un certain seuil, on perd une capacité de retournement, de créativité, d’innovation. On gagnerait à scinder ces groupes. C’est aussi une question de pouvoir sur les marchés : les monopoles créent des problèmes, ce n’est pas nouveau en sciences économiques, ces problèmes se traduisent en lobbying, pour l’augmentation du pouvoir et, de manière agrégée, la croissance économique.

Qui décide conditionne – sans surprise – ce qui est décidé

3/ Troisième aspect : la propriété et surtout l’aspect de la démocratie au sein d’une entreprises. Si aujourd’hui, toutes les décisions de : quoi produire, en quelle quantité et comment produire, sont prises dans un conseil d’administration par quatre personnes* qui ont juste envie de faire croitre les dividendes, alors c’est vrai, on ne va pas trop parler d’énergies renouvelables ou de frugalité. Mais imaginons reprendre le modèle des Scic – une forme de sociétés coopérative – où il y a ce que l’on appelle le principe de multi stakeholdership c’est à dire que l’on a un conseil d’administration classique mais avec aussi des représentants des employés, de la mixité locale, des ONG environnementales… on aboutit à une petite démocratie participative, et ici, quand on prend des décisions, on décide tous ensemble. Et l’on est moins à même de créer des situations d’exploitation sociales et écologiques que l’on va devoir résoudre ensuite. Ça, c’est plus innovant et plus efficient.

La moustache comme cheval de Troie de l’utopie ?

Et pourquoi pas. Il y a d’ailleurs une belle partie de cette interview sur le sujet de l’utopie que je vous laisserai découvrir, mais revenons à nos moutons – sur le sujet de la transformation potentielle des entreprises vers la sobriété – un grand pas avant même la décroissance ! – la réponse de Timothée Parrique est : des entreprises plus petites, plus démocratiques et plus concentrées sur la satisfaction des besoins concrets. Du bon sens, en somme. Je vous invite à écouter l’interview intégrale – 1h44mins bien investies pour toute personne souhaitant soulever un coin du paradigme rassurant dans lequel nous baignons, et prête pour un petit plongeon rafraichissant et qui réveille : « BONPOTE#2 Imaginer l’économie de demain : la décroissance ». C’est à retrouver sur https://www.youtube.com/watch?v=pALsfbyNawU

*Ok, il n’a pas dit personne, mais vous allez devoir écouter l’interview pour retrouver la dénomination précise de ce conseil d’administration hypothétique.
** Poke CG Scoop, Enercoop, Railcoop et tous ceux qui choisissent un autre modèle de gouvernance

Merci pour votre attention. Celine Puff Ardichvili

Et puisque vous êtes encore là.

Ces sujets sont trop importants pour être passés sous silence. Ils font partie des thématiques que nous avons voulu aborder, Fabrice Bonnifet et moi-même, dans notre livre : l’Entreprise Contributive – concilier monde des d’affaires et limites planétaires, chez Dunod. A commander chez votre libraire adoré, sur Place des Libraires, à la FNAC et bien sûr ici.

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