Partage de la valeur et engagement sociétal des entreprises – la contribution de Philippe Peuch-Lestrade

Philippe Peuch-Lestrade, Directeur Général Délégué de l’International Integrated Reporting Council (IIRC) en France, aborde le concept de l’entreprise contributive sous l’angle du partage de la valeur et de l’engagement sociétal des entreprises comme une condition majeure du succès du plan pour la Croissance et la transformation des entreprise (PACTE).

 

Philippe Peuch-Lestrade partage avec nous l’intégralité des recommandations remises à Stanislas Guerini, le député qui pilote le chantier concernant le rôle et les missions de l’entreprise avec Agnès Touraine, en vue de leur audition auprès de Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard, début février 2018. Philippe alerte sur les conséquences du court termisme visant l’optimisation seule du résultat comptable, qui selon lui devient une des premières causes de mortalité de l’entreprise – avec à sa suite des conséquences sociales, humaines et environnementales en cascade.

Vous trouverez ci-après sa contribution au débat sur le « partage de la valeur et engagement sociétal ». Philippe y recommande vivement un soutien marqué par les Pouvoirs Publics en faveur du processus dit INTEGRATED REPORTING, déjà adopté par un millier d’entreprises au niveau mondial (dont 23 sociétés cotées en France) qui sert de catalyseur à un pilotage des entreprises en défendant les intérêts à long terme de la Société dans le respect de toutes les parties prenantes.

Bonne lecture !

CONTRIBUTION AU PLAN D’ACTION POUR LA CROISSANCE ET LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES / PARTAGE DE LA VALEUR ET ENGAGEMENT SOCIETAL DES ENTREPRISES

L’APPORT DE LA PRATIQUE INTEGRATED REPORTING

Si la question est posée en ces termes aujourd’hui, c’est que la grande majorité des entrepreneurs estime que plusieurs éléments (ressources) contribuent à la création de valeur d’une entreprise et en conséquence qu’il faut :

  • bien comprendre les contributions de ces ressources et
  • veiller à mesurer le « retour » aux dites composantes du Business Model.

Il y a deux raisons à ce comportement nouveau [1] :

  • une conviction sur la mission de l’entreprise, qui doit être inclusive
  • une nécessité, la RSE apparaissant comme un moteur de la performance (à cet égard, il peut être utile de se référer à l’ouvrage suivant « Integrated Performance Management » de Kurt Verweire – voir PJ 6 – ainsi qu’aux travaux du WBCSD qui regroupe 200 chefs d’entreprises mondiales tels 3M, APPLE, ARCELOR, BP, COCA-COLA, EDF, HEINEKEN, MICHELIN, NESTLE, SCHNEIDER ELECTRIC… autour d’un engagement de dialogue avec les parties prenantes – voir PJ 6 ainsi que leur video value impact voice)

Les démarches des entreprises en ce sens sont d’ailleurs encouragées par le MEDEF [2] en s’articulant autour de deux axes :

  • réfléchir à la façon de bien positionner l’entreprise face aux attentes de la société
  • capitaliser sur ces réflexions pour augmenter la compétitivité.

Cela converge parfaitement avec les initiatives internationales de référence :

  • RSE d’engagement selon les ODD (Objectifs de Développement Durable) de l’ONU, qui s’impose désormais aux pays donc, aux entreprises
  • EU directive (2014-95) qui pose le cadre, pour les plus grandes entreprises des pays membres de l’Union, des informations à donner sur les éléments dits « extra financiers », dans le cadre de leur rapport annuel, l’objectif recherché étant celui de la sensibilisation à l’impérieuse nécessité du caractère pérenne de la croissance.

Sur ce dernier point, l’ordonnance du 19 juillet 2017 et le décret y afférent du 9 août 2017, transposent cette directive dans le contexte juridique français. Citons encore le MEDEF [3] : « véritable enjeu de compétitivité pour les organisations, au service d’une croissance durable ».

Sur le premier point, il convient aussi de noter que la Commission Européenne a annoncé la composition de sa plateforme pour le suivi de la mise en œuvre desdits ODD.

Il s’agit bien pour la France d’être à la pointe de la réflexion et des pratiques, pour contribuer au mieux au rayonnement de la France à l’International. La réflexion en cours pour la redynamisation de l’économie française à partir de ses entreprises en donne la possibilité.

Il convient donc d’AGIR. Plusieurs directions sont évoquées par les entreprises en France, comme dans le reste du monde :

  • accepter la transparence plus comme une opportunité que comme un risque, car l’entreprise appartient à un corps collectif, même quand le sujet est délicat et ne fait pas l’objet de disposition légale spécifique ; exemple SANOFI qui publie son taux d’imposition[4]
  • cerner au mieux les marges de manœuvre : quels sont les risques sur la pérennité, la robustesse du «business model» ? Comment transformer le fonctionnement de l’entreprise pour « ne pas aller dans le mur » à une époque de DISRUPTION des modèles ?
  • assurer les bases de la compétitivité de long terme (cf. rapports IFA sur la RSE – début 2017 – et le RAPPORT INTEGRE – juin 2017), en engageant une réflexion sur les transformations (ex : en matière d’énergie) et les transitions (ex : l’employabilité) et en soulignant la nécessité d’un nouveau mode de management (cf. aussi bien maints articles de la HARVARD BUSINESS REVIEW que les prises de position du Cercle Ethique des Affaires)
  • choisir résolument [5] la voie de l’innovation et de l’imagination, avec comme corollaire la mutation partenariale puisque désormais

+ les gens sont plus informés et plus solidaires
+ il y a un souci de consommer autrement, plus sainement et plus en cohérence (santé + « people » + « planet »)
+ les défis techniques et technologiques introduisent des remises en cause rapides, des produits et services

  • reconnaître que bien des facteurs dits abusivement « extra financiers » conditionnent la performance financière future.

Pour répondre à tout cela, il y a la question de la GOUVERNANCE :

  • QUI ?
  • POURQUOI (ou POUR QUOI) ?
  • COMMENT ?

POURQUOI :  la confiance envers les dirigeants est cassée. On l’a dit, la mondialisation et l’hyper connexion ont rendu l’univers financier et le système de l’économie dépendants. Les Crises de 2007-2008 en furent l’illustration. Est né le souci de rendre compatible croissance, stabilité financière et respect de la planète, de l’humanité, dans toutes ses dimensions. L’entreprise est l’acteur central du système économique. Aussi doit-elle adopter un pilotage intégrant toutes les composantes de son activité et en mesurer toutes les conséquences, afin de mieux piloter, et cela, sur une trajectoire de long terme.

COMMENT :  c’est ainsi qu’est né le concept d’INTEGRATED THINKING pour cerner au mieux les impacts des décisions et actions (ou inactions)

Le pilotage s’effectue alors autour de la structuration des différentes ressources dont l’entreprise a besoin pour son activité. En identifiant bien ces composantes on est à même d’optimiser la capacité de CREATION de VALEUR, pour la société comme pour l’ensemble de ses parties prenantes.

Ce modèle mondial de réflexion a été élaboré fin 2013 par l’International Integrated Reporting Council – IIRC – regroupant entreprises, investisseurs, régulateurs, ONG, universitaires, organismes gouvernementaux (tel le ministère chinois de l’économie) et d’institutions internationales (telle la Banque Mondiale) ; la finalité est de centrer la prise de décision sur une vision holistique des caractéristiques d’une entreprise. Le moyen est l’élaboration de tableau de bord (en interne) d’une publication (en externe[6]) mettant en harmonie et en symbiose les informations financières et les éléments « extra financiers » des politiques et pratiques menées.

Ex : le groupe EURAZEO met en exergue les centaines de millions d’Euros gagnés par ses investissements dans des sociétés comme ELIS ou LEON, grâce à des actions concrètes sur le « capital environnemental (programme d’économie d’eau et d’énergie) ou sur le « capital humain » (par la lutte contre l’absentéisme ou par une réduction du « turnover » du personnel).

Au niveau des pays, il convient de noter que l’Afrique du Sud a rendu ce rapport obligatoire, qu’il est fortement préconisé par le « gouvernement du Japon», [7](200 sociétés en publient un) ou les autorités boursières d’Inde, du Brésil, de Malaisie, de Turquie… ) et qu’il apparaît comme LA bonne pratique aux Pays-Bas (1/3 des sociétés côtés en publiait un).

Soulignons aussi que c’est dans cette perspective d’un INTEGRATED REPORTING que le Parlement de l’Union Européenne a publié en 2014 sa directive ad hoc précitée, dont la « guidance » émise mi 2017 reprend la trame du framework de l’IIRC.

De même le rapport d’étape publié en juillet 2017 par le EU. HIGH LEEL EXPERT GROUP ON SUSTAINABLE FINANCE « Financing a sustainable economy » recommande (p.27 et 61) un usage plus répandu de l’INTEGRATED REPORTING.

En France, en juin 2013, dans un rapport publié au Gouvernement[8], il était déjà envisagé «que devienne » pertinente la généralisation d’un REPORTING INTEGRE sans vraie suite du côté des Pouvoirs Publics. Mais une adhésion des praticiens. Depuis en effet, dans la foulée d’Engie qui a publié son premier rapport en 2014, nombreux sont ceux qui se sont ralliés à cette pratique du partage de l’information dans un sens d’engagement sociétal (voir supra étude PWC septembre 2017, voir aussi étude CAPITALCOM, VIGEO, CLIFF IFACI octobre 2017).

L’institut des Auditeurs internes a établi deux publications sur ce sujet, pour en permettre la bonne compréhension et application (voir PJ. 2 et 3). La Compagnie des commissaires aux comptes a fait de même fin 2016 (voir PJ. 4).

L’AMF dans son rapport de Novembre 2016 sur la RSE et le gouvernement d’entreprise formule ses encouragements pour une telle adoption.

Le MEDEF très récemment a aussi publié des témoignages très favorables d’entreprises engagées dans cette voie (voir PJ. 5).

QUI : L’IFA a préconisé en juin 2017 (voir PJ. 1) que le Conseil d’Administration puisse être le pilote de cet exercice, assumant ainsi pleinement son rôle de « maître de la stratégie » [9].

La question clé est effectivement les attributs du Conseil, sa responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise [cf. définition de l’économie chez ARISTOTE, en opposition à la Chrématistique (simple accumulation de richesses à son seul avantage)].

La question de la composition du Conseil d’Administration est un signe de l’évolution de la Société et de son rapport avec le capitalisme. Elle est émotionnelle et politique.

Trois pistes s’offrent pour des initiatives réglementaires possibles prônant une évolution :

  • ne pas modifier le primat des actionnaires pour être la source du conseil d’administration mais inclure dans les textes les 6 préconisations de l’IFA (qui préconise en premier l’élaboration d’un rapport intégré
  • créer, à côté du modèle de gouvernance actuel une option permettant le fonctionnement (structuré) d’un conseil stratégique regroupant les représentants des parties prenantes, faisant rapport public de ses commentaires, autour du rapport intégré.
  • initier à titre expérimental un statut d’entreprise à objet élargi, proche du statut B CORPORATION, qui se répand dans le monde, avec, comme porte voix en France, le groupe DANONE (membre fondateur par ailleurs de l’IIRC).

Reste le sujet du mode de gouvernance. A ma connaissance au moins une société cotée française (VOLTALIA contrôlée majoritairement par la famille MULLIEZ) a inscrit dans le règlement intérieur de son conseil d’administration que sa mission s’inscrivait «au service des intérêts à long terme des  parties prenantes ».

Voilà un exemple d’avant-garde !

Car rien ne change si la vision du court terme continue de s’imposer, avec comme contrainte et obsession la seule optimisation du résultat comptable. L’entreprise peut en mourir, entraînant dans sa chute des drames sociaux, humains, environnementaux. Il faut donc CHANGER l’optique.

L’INTEGRATED REPORTING (THINKING + REPORT) est aujourd’hui reconnu comme un levier du changement requis pour rendre le monde des affaires inclusif et responsable.

Il serait heureux que des Pouvoirs Publics français soutiennent officiellement cette piste de changement des mentalités et comportements, afin d’en permettre une généralisation accélérée.

+++

PS :          Aux Etats-Unis d’Amérique

–   En 1917, Henri Ford qui voulait réduire les dividendes versées à nos actionnaires car il pensait d’abord à investir pour satisfaire à l’utilité publique de son entreprise (embauche de gens, livrer des voitures…) a perdu son procès contre les frères DODGE ; il affirmait « le business est un suivi, pas une source de richesses ». En 1999, son ancien petit-fils William Clay Ford osait dire – sans déclenché de procès : « Nous souhaitons trouver de nouvelles façons géniales de satisfaire les consommateurs, réaliser un profit supérieur pour les actionnaires et faire du monde une place meilleure pour nous tous ».

 

Philippe Peuch-Lestrade, ancien partenaire chez Ernst & Young, est aujourd’hui Directeur Général Délégué de l’International Integrated Reporting Council (IIRC) pour la France. Il est conseiller de La Poste, d’Areva, de l’Union européenne, du ministère des Finances et de la Cour des comptes. Il dirige des groupes de recherche pour l’Association des comptables agréés et a lancé l’Association française pour le développement de l’audit. Il est professeur de finances publiques à l’Université de Paris et a publié des ouvrages tels que « Le livre de référence français sur la comptabilité », « Maîtriser les défis environnementaux », « Audit interne des collectivités locales » et « Guide d’audit ». Philippe est titulaire d’une maîtrise en littérature, a un diplôme d’études supérieures en économie politique. Il est membre du Comité français de contrôle des règles publiques. Philippe Peuch-Lestrade est Chevalier de la Légion d’Honneur.

 

[1] Voir LES CAHIERS D’ENTREPRISES ET PROGRES (association de dirigeants) : LA VALEUR ENTREPRENEURIALE – Avril 2012

[2] Cf. Madame Catherine TISSOT-COLLE

[3] Guide « Déclaration de performance extra-financière (25 septembre 2017)

[4] Sur ce sujet précis l’agence de notation VIGEO a commencé à évaluer le profil fiscal des entreprises à la demande de certains investisseurs

[5] Au moment d’adresser cette contribution, je ne peux m’empêcher d’évoquer le thème retenu par l’intervention à Paris de Barack Obama, le 2 décembre : FEAR LESS, INNOVATE MORE (moins de peur, plus d’innovation)

[6] Dit INTEGRATED REPORT (plus de 1000 sociétés identifiées dans le monde), 29 sociétés cotées en France ont publié un tel document en 2016 (voir étude PWC France Septembre 2017)

[7] Cf. METI Guidance for Integrated Corporate Disclosure

[8] RESPONSABILITE ET PERFORMANCE DES ORGANISATIONS : 20 propositions pour renforcer la démarche de responsabilité sociale des entreprises (RSE)

[9] Inspiré en partie d’ailleurs par le STRATEGIC REPORT britannique obligatoire depuis le 1er janvier 2014 pour les 7000 plus grosses sociétés anglaises.

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